Les violentes manifestations qui ont éclaté dans différentes villes tunisiennes ont touché mardi soir, pour la première fois depuis le début du mouvement de contestation, la banlieue de la capitale Tunis. Les affrontements ont fait 23 victimes civiles, selon le pouvoir, et plus de 50 morts, selon l'opposition, cités par les agences de presse. Des jeunes ont lancé des pierres sur la police avant de saccager des magasins et de mettre le feu à une banque, rapportent les mêmes sources, qui précisent que la foule avait barré les axes routiers à l'aide de pneus, incendié un autobus et deux voitures et mis le feu à un local de l'administration locale. Les policiers ont effectué des tirs de sommation en l'air et également fait usage de grenades lacrymogènes pour tenter de faire refluer les gens de l'intérieur du bâtiment administratif. «Nous n'avons pas peur, nous n'avons peur que de Dieu», scandait la foule, dont le gros s'est par la suite dispersé alors que les forces de l'ordre les pourchassaient dans les ruelles avoisinantes. La veille, des débuts de manifestations d'artistes et d'opposants dans le centre de Tunis contre la répression des troubles sociaux ont été réprimés par la police. Parmi les protestataires, les comédiennes Raja Amari et Sana Daoud ont été frappées par des policiers en uniforme et en civil. Après ces affrontements près de Tunis, des unités de l'armée se sont déployées hier dans la capitale et dans sa banlieue ouest. C'est la première fois depuis le début des émeutes qui secouent le pays que des renforts de l'armée sont sollicités. Des soldats en armes, camions, jeeps et blindés se sont postés à des carrefours du centre de Tunis et à l'entrée de la cité Ettadhamoun. Ils montent notamment la garde devant le siège de la délégation (sous-préfecture), attaqué la veille, mais aussi sur la place reliant les avenues de France et Habib Bourguiba, face à la grande cathédrale de la capitale. Ce déploiement intervient alors que l'opposition fait état du limogeage du chef d'état-major de l'armée de terre, le général Rachid Ammar. Il aurait été remplacé par le chef des renseignements militaires Ahmed Chbir. Néanmoins cette information n'a pas été confirmée de source officielle. Sur le plan diplomatique, les Etats-Unis ont appelé le gouvernement tunisien à œuvrer à une «solution pacifique» pour faire cesser les troubles sociaux qui secouent le pays. «Nous sommes inquiets quant aux troubles et à l'instabilité» qui touche la Tunisie, a déclaré Hillary Clinton à une chaîne de télévision. «Nous ne prenons pas partie, mais nous espérons qu'il y aura une solution pacifique», a-t-elle dit. Pour sa part, la France «déplore» ces violences et refuse de «s'ériger en donneur de leçons». La ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, a indiqué mardi qu'«on ne peut que déplorer les violences» survenues en Tunisie dans des manifestations, proposant le savoir-faire français à la police tunisienne pour «régler les situations sécuritaires». «Plutôt que de lancer des anathèmes, je crois que notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation», a-t-elle ajouté. Par ailleurs, la police suisse a fait état de l'attaque par des jets d'engins incendiaires de l'ambassade de Tunisie à Berne, dans la nuit de mardi à mercredi. Ces jets n'ont pas fait de dégâts importants, selon la même source. A Paris, plus de 200 personnes se sont rassemblées mardi soir devant l'ambassade de Tunisie pour exprimer leur «solidarité» avec le mouvement social en Tunisie et dénoncer le régime. «Il faut que le bain de sang cesse», ont-ils revendiqué. Face à l'ampleur des heurts et à la pression internationale, le président tunisien a procédé hier au limogeage de son ministre de l'Intérieur, Rafik Belhaj Kacem, et son remplacement par Ahmed Friaa, un ingénieur et ancien ministre. Le président Ben Ali a également ordonné la création d'une commission d'enquête «sur des faits de corruption présumée et pour évaluer les erreurs de certains responsables publics» et a demandé la libération de toutes les personnes détenues depuis le début des troubles, le 16 décembre dans la ville de Sidi Bouzid.