La situation est chaotique en Tunisie et le bilan des sanglants affrontements entre la population et les forces antiémeutes ne cesse de s'alourdir. Jusqu'à hier après-midi, 50 morts ont été déplorés depuis l'éclatement de la révolte dans ce pays. Ce bilan est de loin inférieur à celui du gouvernement tunisien. Le nombre de blessés, non communiqué, semble être très important, estime la Fédération internationale des ligues de droits de l'homme (FIDH). Ce bilan humain de la révolte sociale a tragiquement augmenté après les manifestations du week-end. Les émeutes se sont alors déplacées à des villes côtières, Bizerte et Sousse, au cœur de la Tunisie touristique, explique la présidente de la FIHD, Souhayr Belhassen. Trois localités du centre-ouest de la Tunisie – Kasserine, Thala et Regueb – étaient également en proie aux violences lundi et Amnesty International rapporte que dans ces trois villes, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, «dans le cadre d'une répression de plus en plus violente contre ceux qui expriment leur colère face aux conditions de vie, au chômage et à la corruption». A Kesserine (290 km au sud de Tunis) «c'est le chaos après une nuit de violences, de tirs de snipers, pillages et vols de commerces et de domiciles par des effectifs de police en civil qui se sont ensuite retirés», témoigne Sadok Mahmoudi, membre de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT, centrale syndicale) aux agences de presse. Les autorités tunisiennes ont reconnu le recours à la force par leurs services d'ordre «pour empêcher les émeutiers d'atteindre certains édifices publics». Néanmoins, selon le personnel médical de l'hôpital régional de Kasserine où ont été transportés les corps, le nombre de morts est beaucoup plus important que les quatre officiellement reconnus. Le personnel a dû débrayer durant une heure pour protester contre le nombre élevé de victimes et la gravité des blessures, a ajouté ce fonctionnaire, décrivant des «cadavres éventrés, à la cervelle éclatée». Ainsi et au vu de la protestation qui continue d'ébranler les villes de Tunisie, le discours du président Zine el Abidine Ben Ali ne semble n'avoir aucun effet sur les populations. Le président Ben Ali a promis la création de 300 000 emplois en deux ans pour calmer l'agitation de la jeunesse et avait qualifié les émeutes d'«acte terroriste dirigé par des éléments étrangers». Dans les villes d'El Kef, dans le Nord-Ouest, et de Gafsa, plus au sud, le discours a été par contre suivi de manifestations, dispersées à coups de gaz lacrymogènes, selon plusieurs témoins. Alors que de violentes manifestations se sont également produites lundi dans la ville côtière de Bizerte, pour la première fois depuis le début de l'agitation sociale fin décembre. Fermeture des écoles et des universités Dans l'espoir d'endiguer la contestation étudiante, le gouvernement a ordonné la fermeture de toutes les écoles et universités du pays à partir de mardi et jusqu'à nouvel ordre. Les autorités tunisiennes ont décidé lundi la suspension des cours dans tous les établissements éducatifs et universitaires à partir de mardi et jusqu'à nouvel ordre, à la suite des troubles qui secouent le pays depuis trois semaines. Dans un communiqué conjoint diffusé par l'agence de presse tunisienne TAP, les ministères de l'Education et de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ont également annoncé le report des examens restants du cycle supérieur. Les deux ministères ont justifié cette décision par les «troubles survenus dans un certain nombre d'établissements éducatifs et universitaires, et les investigations qui sont en cours en vue de délimiter les responsabilités des auteurs de ces troubles et de ceux qui ont poussé les élèves innocents à des actes de désordre, de violence et d'anarchie dans les rues de certaines localités». Artistes et opposants interdits de manifester Des débuts de manifestations d'artistes et d'opposants dans le centre-ville de Tunis contre la répression des mouvements de contestation sociale ont été réprimés hier par la police. «Le rassemblement des artistes devait dénoncer la violence et l'usage excessif des armes dans le pays», a indiqué Fadhel Jaibi, homme de théâtre. «Nous voulions exprimer pacifiquement notre colère et notre indignation», a-t-il dit, alors que la police le bousculait sur l'avenue centrale Habib Bourguiba. Parmi les protestataires, les comédiennes Raja Amari et Sana Daoud ont été agressées par les forces de l'ordre en uniforme et en civil, présents en grand nombre. «Honte à vous !», a crié Sana Daoud, en direction des policiers, alors que l'autre actrice était jetée à terre. «Ils nous étouffent, c'est notre droit de manifester», a lancé Jalila Baccar, comédienne et réalisatrice. Le président de la Ligue des droits de l'homme (LTDH) a dénoncé «un comportement insensé, criminel», indiquant que l'un des dirigeants de la ligue, Abdelatif Biri, a été «sauvagement agressé» dans le centre de Tunis. Une autre manifestation prévue à l'appel de l'opposition a été également étouffée par la police dans la capitale, a indiqué l'avocate Radia Nasaroui. «Nous voulons dire au régime d'arrêter de tuer les gens», a déclaré cette opposante, faisant état de brutalités contre des avocats venus manifester, selon elle. La tension était perceptible dans Tunis alors que des appels à manifester massivement sont relayés sur le réseau social sur la toile. Plusieurs images de violences et de morts dans l'hôpital de Kasserine, dans le centre, y ont été partagées par les jeunes Tunisiens.