Les entreprises qui interviennent depuis l'été 2009 dans le chantier des 150 logements sociaux locatifs de Bachdjarah, théâtre d'une tentative de squat au début de cette semaine, risquent de payer les importants dégâts causés à cette occasion. Le chantier n'est pas assuré, car l'OPGI de Hussein Dey l'a installé illégalement. L'habitude est une seconde nature, dit-on. Quand ils ont occupé de force, dans la nuit du jeudi 10 février, des appartements au chantier des 150 logements sociaux locatifs de Bachdjarah (Alger), les jeunes squatteurs ont été trahis par leur propre comportement. Les entrepreneurs qui interviennent sur site, pour le compte de l'OPGI de Hussein Dey, ont tout de suite compris qu'il s'agit des habitants des bidonvilles environnants. Comment ? «Quand j'ai su à propos de l'attaque, je me suis aussitôt rendu au chantier. Je suis entré dans l'immeuble qui m'a été confié. J'ai fait le tour des lieux et un détail m'a particulièrement intrigué au début. Dans un appartement de type F4, j'ai en effet trouvé toute une famille parquée dans une seule chambre ! J'ai compris que ces gens devaient souffrir de la promiscuité. Ce ne sont autres que des gens des baraques !», raconte un entrepreneur au Temps d'Algérie. Conscients des risques que le squat leur fait courir, les chefs d'entreprise ont pris langue avec les intrus. L'heure était à l'apaisement. «Si on vous laisse habiter, mabrouk alikoum ! Mais si on vous déloge, évitez de casser ou de voler. Nous sommes sur les lieux depuis plus d'une année et nous ne sommes pas encore payés pour les travaux réalisés», rapporte un autre patron. Les squatteurs, selon lui, ont promis de laisser en l'état les appartements au cas où ils seraient expulsés. Mais il est écrit que les envahisseurs allaient quitter l'endroit de la même manière qu'ils y ont pénétré : par la casse. Profitant de la mobilisation de la police à l'effet d'empêcher la marche du samedi 12 février à laquelle a appelé la Coordination nationale pour le changement et la démocratie, des jeunes munis d'arrache-clous et de barres de fer sont entrés au chantier, jeudi vers 21h30. Ils avaient l'intention de baliser le terrain : en découdre avec les gardiens s'ils comptaient leur barrer la route, forcer les portes d'entrée des bâtiments, celles des appartements et enfin donner l'alerte afin que leurs familles y viennent s'installer et s'arranger de manière à mettre les autorités devant le fait accompli. Le groupe de jeunes n'a trouvé aucune peine à investir les lieux. Cherchant à sauver sa peau, le gardien de service a d'ailleurs sauté du premier étage de l'immeuble A4. Il serait toujours sous surveillance à l'hôpital Zmirli d'El Harrach. Les portails métalliques n'ont pas résisté à l'assaut. Tout de suite après, on procède à «l'affectation» des logements. Ainsi, les trois appartements au premier étage du bâtiment A7 sont revenus à Abdelhak, Hamid et Samir. Pour se faire signaler, les «bénéficiaires» ont inscrit leurs prénoms sur le mur plâtré à côté des portes d'entrée. Arrive alors le moment d'appeler les familles. Celles-ci y arrivent par groupes, avec effets et bagages. Les squatteurs ont passé trois nuits dans le chantier. La police les a délogés dans la matinée de dimanche, au prix d'importants dégâts matériels. «Dans le A4 par exemple, les familles lançaient des éviers et des lavabos contre les policiers. Ils ont tout fait pour repousser l'intervention de la police», raconte-t-on. Avant de quitter les lieux, elles ont toutefois constitué un butin : des tuyaux en cuivre, des volets de fenêtres, des lampes, des hublots, des serrures, bref tout ce qui leur tombait sous la main a été emporté. Les indus occupants n'ont donc pas tenu leurs engagements envers les entrepreneurs. Ces derniers sont réduits à constater les dégâts. Qui va payer les réparations ? Hier, un huissier de justice, engagé par les entrepreneurs, était sur les lieux pour faire le constat. Une question s'impose : qui va payer pour les réparations ? Quand vous leur posez cette question, les entrepreneurs sourient et vous regardent droit dans les yeux, un de ces profonds regards qui en disent long. En fait, le chantier est en lui-même une longue histoire. Le site est constitué de 10 immeubles de 15 appartements chacun entre F2, F3 et F4. Sept bâtiments étaient opérationnels, avant le squat, et trois autres demeurent en construction. Les parties construites souffraient de la mauvaise qualité des travaux de finition. Il a fallu tout reprendre à ce niveau-là. Sur les lieux, il y a donc plusieurs entreprises qui interviennent depuis l'été 2009 dans le cadre du «reste à réaliser». L'envahissement du chantier par les squatteurs a fait découvrir des irrégularités dans la reprise des travaux. En fait, l'installation des entrepreneurs ne s'est pas faite officiellement. Ils travaillaient sans aucun document justificatif. Malgré leur insistance, l'OPGI de Hussein Dey ne se décide toujours pas à leur faire signer les conventions nécessaires à ce genre de tâche pourtant réglementée par le code des marchés publics. Pis, dans une tentative de régularisation, même les offres de service (ODS), documents nécessaires à l'installation du chantier, ont été délivrés à la fin des opérations ! En novembre 2010, les concernés ont profité du passage d'une délégation du ministère de l'Habitat, venue en inspection, pour les mettre au courant de cette situation. Colère à l'OPGI. A présent, ce sont eux qui risquent de payer la facture des dommages provoqués lors du délogement. La preuve, en situation normale, c'est à l'OPGI de faire appel à un huissier pour faire le constat. Pour boucler la boucle, du fait de l'illégalité de leur intervention, le chantier n'est pas assuré. Les entrepreneurs risquent de mettre la main à la poche. C'est une épreuve de plus, puisqu'à ce jour ils ne sont pas payés !