Ceux qui sont en âge de s'en souvenir… se souviennent. Les pénuries étaient d'une telle ampleur que les Algériens en étaient arrivés à quêter éperdument un kilo d'ail. Le seul journal sportif de l'époque, dont un envoyé spécial avait accompagné un prestigieux club algérien de foot dans un pays d'Afrique de l'Ouest pour un match de compétition continentale, rapportait dans ses «potins» comment joueurs, dirigeants et entraîneurs se sont rués sur les gousses dans un marché-brousse, heureux et étonnés que le produit soit disponible dans un pays ravagé par la misère et introuvable sur les étals de l'Algérie prospère. Le journaliste racontait aussi comment la «délégation» algérienne avait consacré l'unique après-midi consacré au «shoping» à un interminable va-et-vient entre le lieu d'hébergement et le marché et l'hilarité des employés de l'hôtel quand ils ont découvert des chambres empestées par l'ail. L'anecdote a été «inspirée par cette information rapportée par un collègue dans notre édition d'hier : l'ail algérien est introuvable sur le marché parce que toute la production nationale serait exportée. Avant, même si ce produit n'est pas ce qu'on pourrait appeler un «produit de première nécessité», on en raffolait quand même grâce à… sa rareté. La pénurie crée des goûts quand elle ne suscite pas des traditions culinaires. Aujourd'hui, c'est l'abondance qui nous fait découvrir l'«exceptionnelle qualité» de nos produits. On découvre que la banane pour laquelle on bavait à longueur d'année est un fruit fade qui peut aller se rhabiller face à nos oranges, que la clémentine espagnole est aux agrumes ce que «Ploum-Ploum» était au parfum et que nos petites pommes rabougries ont une bien meilleure saveur que les clinquantes et calibrées Golden. Comme on n'arrête pas le progrès, voilà que nous découvrons que depuis une année, l'ail algérien est quasiment introuvable sur le… marché algérien. Destiné à l'exportation. Dans la foulée, nous découvrons aussi qu'il rapporte quatre-vingt dix centimes d'euros aux producteurs qui le cèdent à un exportateur qui le cède à un négociant spécialisé établi dans le sud de la France. Il paraît aussi que d'éminents cordons bleus de grands restos et palaces du monde l'exigent de leurs employeurs sous peine de rendre la toge. Possible. Mais ce qui est étonnant dans tout cela, c'est qu'on semble s'en plaindre. Déroutant paradoxe qui fait qu'on décrie ou on loue la chose et son contraire. La pénurie et l'abondance ; l'importation et l'exportation, la qualité et le rebut, le bon et le mauvais goût. Après avoir suscité des goûts et des traditions culinaires, l'ail va sûrement susciter des vocations. Produire, et s'il ne s'agissait que de ça ? Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir