Le peuple marocain est appelé à se prononcer sur le nouveau projet de la Constitution qui sera soumis à un référendum populaire le 1er juillet prochain, à l'initiative du roi Mohammed VI. Bien évidemment, le sort de la monarchie ne sera pas en jeu dans ces élections auxquelles les animateurs du mouvement du 20 Février ont déjà appelé au boycott, en continuant d'exiger non pas une simple reformulation des pouvoirs d'une monarchie absolue mais le passage vers la mise en place d'une monarchie parlementaire. Les dés pipés au départ L'opposition démocratique, qui continue d'occuper la rue tous les dimanches dans les plus grandes villes du pays, avait compris que les dés sont pipés au départ et que l'annonce par le roi Mohammed VI, en janvier dernier, d'un projet de réforme de la Constitution obéissait à d'autres objectifs que celui de satisfaire la demande démocratique dans son pays. Au départ, le souverain avait songé à mettre en place un nouveau système de régionalisation dans le seul but de «court-circuiter» les aspirations du peuple sahraoui à l'indépendance. C'était le lendemain du soulèvement des habitants du Sahara occidental après la prise d'assaut brutale du camp de protestation pacifique de Gdeim Izik qui avait valu au Maroc une série de condamnations au plan international. Ce projet visait à définir un nouveau cadre constitutionnel rendu indispensable par la conjoncture actuelle dans le monde arabe, non pas pour donner plus d'autonomie aux régions dans le système politique le plus centralisé au monde, mais pour placer le plan d'autonomie pour le Sahara occidental, occupé militairement depuis novembre 1976. Un territoire non autonome dans le fichier des Nations unies, classé arbitrairement «provinces du sud» dans le code administratif marocain. Monarchie parlementaire et monarchie absolutiste L'idée d'un système des autonomies a été soufflée à Rabat par l'ancien ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, l'artisan de la mise au placard du Plan Baker qui suggérait d'aller vers un référendum au Sahara laissant le choix aux Sahraouis de choisir entre l'indépendance ou le rattachement au Maroc. Ce système autonomiste à l'espagnole avait donc été imaginé, dans les limites marocaines, pour noyer la question de décolonisation du Sahara occidental dans un ensemble géographique qui n'est pas celui de l'ancienne colonie espagnole. Le soulèvement du peuple marocain pour revendiquer plus de justice sociale, plus de libertés et une réforme en profondeur de la monarchie, intervenant trois mois après l'installation par les indépendantistes sahraouis du camp de protestation pacifique aux abords de Al Ayoune, a conduit le roi Mohammed VI à vouloir faire d'une pierre deux coups : neutraliser le soulèvement populaire sahraoui et paralyser le mouvement du 20 Février. Il n'aura atteint, tout compte fait, aucun des deux objectifs. Bien au contraire, car même si les usages dans les systèmes totalitaires devraient faire sortir des urnes une «adhésion populaire massive» au projet du Malik, au lendemain du référendum du 1er juillet, les Sahraouis continueront à revendiquer leur droit à l'autodétermination et les Marocains leur droit à la démocratie parlementaire. Une double violation du droit international Les gouvernements en sursis jusqu'en mai et mars 2012 de Paris et de Madrid, en fidèles alliés des monarchies absolutistes de Rabat, de Ryad, de Manama ou du Qatar, applaudiront très certainement le «choix du peuple», pour les indignés marocains et pour les Sahraouis, habitants des «deux grandes régions du sud», selon la future Constitution. Contre cette manœuvre, le Front Polisario a saisi les Nations unies pour «dénoncer l'élargissement illégal du plan de régionalisation au Sahara occidental» qui constitue une double violation de la légalité internationale. Celle d'abord de l'annexion d'un territoire non autonome placé sous la tutelle des Nations unies et, ensuite, celle d'une disposition juridique visant à modifier les frontières internationalement reconnues du Maroc. L'ONU, qui conduit les négociations directes entre les deux parties au conflit sahraoui, le Maroc et le Front Polisario, jugera certainement irrecevable ces instruments juridiques que Rabat ne se hasarderait pas d'ailleurs à déposer au niveau de la Commission des affaires juridiques des Nations unies sans risquer de recevoir un nouveau camouflet diplomatique. Les jeunes protestataires marocains ne désespèrent pas de contraindre, à terme, le roi à cesser de gouverner et de ranger le Maroc parmi les monarchies parlementaires. C'est un objectif qui n'est pas à l'ordre du jour dans le projet de réforme constitutionnelle. Le peuple marocain devra donc se résigner à la sacralisation du roi et continuer à s'accommoder de la devise éternelle «Allah, el Watan, el Malik». «Qech Bakhta et Fnadjel Meriem» Le roi Mohammed VI sait son projet peu fiable pour ses sujets comme pour les Sahraouis et pour la communauté internationale qui dénonce à répétitions et à longueur d'année les complicités de certains pays du sud de l'Union européenne pour consacrer de fait l'annexion du territoire sahraoui. Les deux accords controversés sur la pêche et les produits agricoles liant les «27» au Maroc, président de cette intention. C'est une bonne astuce pour Paris et Madrid d'assurer la promotion de la «souveraineté» du Maroc sur le Sahara occidental. Une manœuvre diplomatique dans laquelle les pays du Nord de l'Europe, les pays scandinaves surtout, ne se laissent pas prendre, pas plus que le reste de la communauté internationale. Rabat n'hésite pas à pointer du doigt l'Algérie qu'elle accuse de saboter son «initiative historique» pour le Sahara occidental. La propagande marocaine par presse aux ordres interposée n'hésite pas à sortir ses vieux arguments pour déplacer plus à l'est son conflit avec le Front Polisario. Rabat focalise ses errements diplomatiques sur le Sahara en mettant sur la table la question de la réouverture de la frontière terrestre avec l'Algérie. Une question devenue une «priorité» de la diplomatie espagnole pour élargir le marché des produits fabriqués à Melilla et Ceuta. Pour, comme dirait le président Abdelaziz Bouteflika, écouler à Maghnia à travers les circuits du trabendo marocain «Qech Bakhta et Fnadjel Meriem» contre l'essence bon marché de Sonatrach et les produits pharmaceutiques bradés de Enapharm. Les «frontières historiques» Des pressions, le Maroc est passé à la menace à peine voilée de remettre en cause, non plus seulement l'ouverture mais le tracé frontalier hérité de la colonisation pour espérer obtenir le silence de l'Algérie sur l'annexion du Sahara occidental. Où commencent et où finissent les «frontières authentiques» dont «le roi est le garant» et qui peuvent s'étendre à Saint Louis du Sénégal, brassant large au sud comme à l'est. En reconduisant cette disposition qui figurait déjà dans la Constitution de 1996, le Souverain alaouite entend, surtout, conserver une disposition centrale de ses prérogatives, dans son. marchandage de la question sahraouie. Il a réitéré cette menace à l'adresse de fait aussi avec l'Espagne lorsque le Parlement espagnol avait condamné l'assaut de Gdeim Izik, en décidant d'inscrire à l'ordre du jour la question de la «souveraineté du royaume sur les villes occupées de Ceuta et Melilla». Une stratégie de dissuasion diplomatique qui risque, dans le cas du Maghreb, de retarder encore davantage la réouverture de la frontière terrestre algéro-marocaine, de compromettre la déjà très difficile relance du processus d'intégration du Maghreb et de remettre, bien sûr, aux calendes grecques le règlement indispensable à cette fin du conflit du Sahara occidental.