D'une pierre, quatre coups. En annonçant une réforme constitutionnelle globale qui sera suivie d'un référendum, le roi Mohammed VI apaise la rue, amoindrit le pouvoir du Makhzen, renforce les libertés politiques et la justice et, de manière subliminale, s'érige en force démocratique tranquille au Maghreb. Sans y faire référence, M6 semble avoir entendu les manifestants en annonçant une «réforme constitutionnelle globale». Avec les changements prévus, le roi cède des pouvoirs au Parlement, au Premier ministre et aux régions, élargit le champ des libertés, consolide les droits de l'Homme et libère la justice. Il se place ainsi au centre des institutions dont il est jusqu'ici l'incarnation et la source première de légitimité. Le politologue marocain Mohamed Darif y voit d'ailleurs un rééquilibrage des pouvoirs entre le Palais et le Parlement. Le statut du Premier ministre «en tant que chef d'un pouvoir exécutif effectif» et celui des partis politiques seront donc élargis et bonifiés. La réforme, qui prévoit aussi des pouvoirs accrus aux régions, au détriment des gouverneurs et des préfets, représentants omnipotents du Makhzen, favorise l'avènement d'«un gouvernement élu émanant de la volonté populaire exprimée à travers les urnes et jouissant de la confiance de la majorité de la Chambre des représentants». Le roi a également annoncé une série de mesures pour renforcer le pluralisme et le rôle des partis politiques. Le roi a manifestement refusé de voir son peuple se brancher sur une histoire semblable à celle qui se déroule en Tunisie et en Egypte. Il a donc choisi l'évolution plutôt que la révolution. Mais il n'avait pas d'autre choix. Dans un monde arabe en ébullition démocratique et dans un contexte mondial de flambée des prix des denrées alimentaires de base et du pétrole, Mohammed VI a peu de marge financière pour répondre à la demande sociale. Il y répond indirectement par une réforme démocratique dont il ne pouvait d'ailleurs faire l'économie. L'exercice ne manque toutefois pas d'habileté pour renforcer la fonction royale en la faisant découler d'un plébiscite référendaire. Ce qui lui permet de préserver le trône en légitimant par la Constitution la plus ancienne monarchie du monde (1666) qui puisait sa vocation au trône par primogéniture de la descendance d'Ali, gendre et cousin du Prophète (QSSSL). L'annonce de la «réforme globale» ne vaut cependant pas réforme effective. Son contenu dépendra en fait de la capacité des agents politiques et sociaux à travailler ensemble pour poser les jalons d'une monarchie parlementaire typiquement marocaine. Tout dépendra donc de la composante de la commission de réforme confiée à Abdellatif Mennouni, un constitutionnaliste de renom. Il s'agirait alors d'inventer un nouveau modèle monarchique qui ne serait ni une monarchie absolue ni une royauté au pouvoir essentiellement symbolique, suivant les modèles espagnol ou britannique. Jusqu'ici, les Marocains, y compris les cyber-démocrates, ne demandent pas la suppression de la monarchie ou le départ de Mohammed VI, mais la fin de sa monopolisation du pouvoir et son retrait de l'économie - le roi est le premier entrepreneur du royaume et le plus riche milliardaire. A deux exceptions près, les réactions des internautes et des partis politiques à l'annonce des réformes sont globalement positives, voire enthousiastes. Le «Mouvement du 20 février», force d'exigence démocratique montante réclamant une monarchie constitutionnelle où le roi règne sans gouverner, reste prudent. Il a maintenu pour le moment son appel à manifester pour le 20 mars, en attendant de se faire une idée plus concrète de la réforme avec les premières propositions de la commission d'Abdellatif Mennouni. Sceptiques, les islamistes du mouvement radical Al Adl wal ihsane (non reconnu mais toléré) y voient, pour leur part, une «tentative de vampiriser la colère populaire en privant le peuple d'une réelle occasion de changement grâce à une constitution royalement offerte». Le scepticisme du «Mouvement du 20 février» et des partisans de cheikh Abdesselam Yassine serait le signe que le roi Mohammed VI propose par anticipation une «révolution de palais» au lieu et place d'une révolution populaire. En effet, même s'il donne au professeur Abdellatif Mennouni la liberté de déborder le cadre de réforme fixé, le roi ne remet nullement en cause les articles 19 à 35 de la Constitution de 1996. Cet arsenal constitutionnel fait du roi la base et le sommet de la pyramide du pouvoir, la source de légitimité politique, le détenteur de tous les pouvoirs. Le roi règne, gouverne, légifère, nomme, accrédite, préside, démet et est le chef suprême des forces armées dont il est le premier commandant et le premier chef opérationnel. L'article 19, qui définit l'essence du pouvoir royal, permet au roi, dont la personne est «inviolable et sacrée», d'exercer son imperium politique et son magistère religieux. Selon une formule d'Hassan II, le roi du Maroc dispose du drapeau, du timbre et, on peut l'ajouter, des sceaux et du glaive de justice, ainsi que du fusil et du chapelet religieux. En somme, l'alpha et l'oméga du pouvoir. La révolution démocratique au Maroc, rêve des cyber-manifestants mais pas seulement, serait celle qui ne serait pas confisquée par le Makhzen, pouvoir informel mais omniscient du royaume. Notamment par les tout-puissants proches du roi tels Fouad Ali Al Himma, à la tête du PAM, le Parti de l'authenticité et de la modernité, vitrine politique et affairiste du Makhzen. La monarchie constitutionnelle à laquelle appelle le «Mouvement du 20 février» ne pourrait être édifiée sans remise en cause de l'esprit et de la lettre de l'article 19 de la Constitution. Pierre de touche et socle du pouvoir monarchique, il stipule que «le roi, Amir el mouminine, Représentant suprême de la nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat, veille au respect de l'Islam et de la Constitution». Qu'il est en même temps «le protecteur des droits et libertés des citoyens (…) ; il garantit l'indépendance de la nation et l'intégrité territoriale du royaume dans ses frontières authentiques». N. K.