Le coup d'envoi de la deuxième édition du festival culturel local du tapis du village d'Aït Hichem, commune d'Aït Yahia dans la wilaya de Tizi Ouzou, a eu lieu jeudi matin dans une ambiance de convivialité, en présence d'une foule nombreuse venue des localités limitrophes. La cérémonie d'ouverture s'est tenue en présence du directeur de la culture, El Hadi Ould Ali. L'école primaire du village, comme chaque année, abrite la manifestation de 21 au 25 de ce mois. Un riche programme est prévu à l'occasion : exposition des tapis, colloque sur l'activité de la tapisserie, conférences, chants, poésie, théâtre, projection des films et monologues. Sept ateliers de tapisserie du village Aït Hicham et d'Ath Zirri sont organisés. Il faut noter que 40 tisseuses de tapis à domicile, participent à ce festival local qui commence à prendre une connotation nationale au fil des éditions. Cette manifestation annuelle est une occasion exceptionnelle pour donner l'occasion aux tisseuses de tapis de se rencontrer, exposer leurs produits et surtout aborder aussi leurs nombreux problèmes. En effet, l'activité artisanale du tissage de tapis, de couvertures artisanales et de burnous est exclusivement féminine en Kabylie. Malheureusement, elle risque de disparaître à jamais dans cette région. Cet avis est partagé par toutes les participantes. Na Mezhar, une dame âgée de 77 ans, l'une des dernières tisseuses de tapis du village regrette en effet que cette activité soit en voie de disparition. Elle a évoqué des raisons multiples, notamment économiques. «J'ai commencé à tisser des tapis depuis l'âge de 13 ans et à ce jour, je continue à exercer cette activité purement traditionnelle. J'ai légué ce dur métier et mes connaissances à plusieurs générations. Le métier de tissage, je l'exercice avec amour et passion mais ces dernières années, cette activité commence à flancher devant les produits importés. Les tapis coûtent trop cher à cause de la rareté de la matière première, la laine blanche qui se fait de plus en plus rare sur le marché», regrette Na Mezhar, qui parle aux visiteurs avec un français correct, en épatant les visiteurs et les présents. «J'ai fait l'école des sœurs blanches», dira-t-elle souriante. Cette dernière rappelle avec nostalgie que la dot de la mariée était jadis composée essentiellement de tapis et autres objets de valeur traditionnels typiquement kabyles. Elle regrette qu'elle soit remplacée par d'autres produits d'importation synthétiques sans signification. Mme Ben Messaoud, une autre tisseuse du village qui ne dépasse pas la quarantaine et propriétaire d'un atelier de tapisserie à Aït Hichem, a soulevé, elle aussi, plusieurs contraintes qui entravent leur activité qui est jalousement gardée par les femmes jusqu'à nos jours. «J'ai dans mon atelier 8 employées très jeunes. Nous tissons des tapis et des burnous avec de la laine de mouton en utilisant des objets traditionnels qui étaient utilisés par nos aïeux depuis la nuit des temps en Kabylie. malheureusement nous butons sur le problème de l'écoulement de notre produit. Les tapis coûtent très cher et les clients se font de plus en plus rares. Le plastique et les produits synthétiques ont remplacé les tapis, vu leurs bas prix», regrette-t-elle. Effectivement les prix sont inabordables. Une exposante nous montre un petit tapis de 150/60 centimètres qui coûte entre 6000 à 8000 dinars. Elle nous précisa que «la durée de tissage de ce petit tapis que vous voyez prend au moins une bonne semaine. Le tissage est un métier très dur qui nécessite d'énormes efforts physiques et de la patience». Une autre tisseuse nous a montré un grand tapis orné de signes berbères qu'elle a tissé durant deux années. Ce véritable bijou vaut plus de 100 000 dinars. Une école créée en 1892 Sur place, dans une salle de classe, des jeunes filles dont l'âge ne dépasse pas la vingtaine d'années tissent un burnous avec des gestes souples et une concentration ardue. «Dans notre village, les jeunes filles commencent à tisser dès leur jeune âge. Je suis une étudiante universitaire en sciences pharmaceutiques mais je suis aussi très attachée aux activités artisanales de notre région, ainsi cette activité de tissage sera pérennisée. Par exemple je suis en train de tisser un burnous comme vous voyez. Les femmes kabyles tissaient à leurs enfants un burnous pour le mariage. C'est une tradition ancestrale. Chaque maison kabyle possède une azzetta (un métier à tisser)», nous dira une jeune fille participante. Le tissage a traversé plusieurs siècles en Kabylie. Il a été élevé du rang d'artisanat à celui d'art grâce aux femmes d'Aït Hichem qui ne veulent aucunement entendre le mot «disparition» de leur métier sacré. La pérennité du tissage est l'objectif principal de la manifestation, selon les organisateurs. Il existait depuis 1892 à Aït Hichem une école de tissage pour les jeunes filles, ce qui a permis certainement de mettre en valeur le tapis d'Aït Hichem. De leur côté, les autorités locales, le directeur de la culture, le directeur de la Chambre artisanale de métiers (CAM), et les représentants du secteur du tourisme ont promis de promouvoir davantage cette activité artisanale plus que jamais menacée par la disparition après une existence de plusieurs siècles. Quatre ateliers de tissage ont ouvert leurs portes ces dernières années à Aït Hichem grâce à des microcrédits et à des subventions financières étatiques sous plusieurs formes.