Mois de piété et de foi, le Ramadhan est devenu par la grâce d'un appétit gargantuesque, mois de tous les excès culinaires. On se ruine pour garnir sa table de mets qui iront pourrir dans les poubelles, une fois la panse repue. «Toutes les politiques, aussi droites soient-elles, ne pourront pas réguler le marché par la faute de cette folie. Les citoyens doivent rationnaliser leur consommation. C'est un comportement sage qui s'inspire des préceptes du Ramadhan», affirme un imam qui ne manquera pas de rappeler que le bon musulman doit réfréner ses pulsions, ses envies et surtout se montrer responsable dans ses comportements. Un enseignant en sociologie ne manquera pas pour sa part de rappeler que la consommation est toujours un indice qui permet d'évaluer la santé économique d'un pays. «Plus la consommation augmente et plus les indices sont au vert», note-t-il. «Chez nous, cette donnée n'est pas fiable pour un sou. La consommation n'est pas basée sur une aisance financière des ménages mais plutôt sur une envie qui prend les Algériens durant le mois sacré. On se plaint des augmentations de prix, mais on ne fait rien pour freiner cette tendance. Le comportement de l'Algérien devient irresponsable durant le mois sacré. J'ai vu des citoyens se plaindre des augmentations des prix de certains produits, mais une fois au marché, ils délient sans coup férir les cordons de leur bourse», fera-t-il remarquer. Pour lui, les budgets des ménages sont mis à rude épreuve par un comportement qui échappe à toute logique. «Quel est le consommateur responsable qui accepte de se faire hara-kiri pour le simple plaisir de se vanter d'avoir une table bien garnie pour le f'tour du Ramadhan ?» Des sources d'une direction du contrôle des prix affirment que la flambée de certains produits de large consommation est favorisée par le comportement irresponsable de certains consommateurs. «Ils créent la pénurie qui est propice à toutes les manœuvres spéculatives. En stockant certains produits, ils déstabilisent les approvisionnements. C'est un comportement qui est suicidaire aussi bien pour les consommateurs que pour la politique économique du pays. L'Algérie veut réduire sa facture d'importation de semoule et de farine et par la faute d'une consommation non maîtrisée, le pays se retrouve dans une spirale d'importations sans fin», note un responsable très au fait des réalités du marché. Pour lui, le pain illustre parfaitement le gâchis que connaît le marché algérien. «Chaque jour, ce sont des tonnes de pain, soutenu par le Trésor public, qui sont jetées dans les poubelles et recyclées en aliment de bétail. Ce comportement a fini par créer, dans certaines villes du pays, toute une industrie de récupération du pain, qui échappe à tout contrôle et qui fait trimer des enfants en bas âge», dira-t-il. Des épices pour plus de 10 000 dinars… L'approche du Ramadhan a fait perdre la raison à certains consommateurs qui sont déjà pris par les prémisses d'une boulimie. «J'ai vu un Oranais acheter des épices pour un montant global de plus de 10 000 dinars. Est-ce raisonnable ? Je croyais que c'était un revendeur qui s'approvisionnait alors qu'en réalité c'est un consommateur qui croyait se prémunir de toute mauvaise surprise durant le mois sacré. Qu'en est-il alors pour ses autres achats ?», avouera un épicier qui se dit non surpris par la frénésie qui s'empare des Algériens à l'approche du mois sacré. «Le marché durant le mois sacré n'est plus régi par la loi de l'offre et de la demande» Cette hausse vertigineuse de la consommation ne veut pas dire forcément que les budgets des ménages sont en pleine zone d'éclaircie. C'est un indice trompeur puisque la réalité montre une paupérisation de larges couches de la société. «Aussi adroite et objective soit la politique économique d'un gouvernement, elle ne saurait faire face à un marché qui n'est plus régi par la loi de l'offre et de la demande. L'huile, le sucre, la semoule et le café connaissent des pics de consommation que rien ne justifie durant le Ramadhan. L'apparition d'un marché saisonnier de la pâtisserie orientale n'est qu'un élément parmi une foule d'autres facteurs qui provoquent des pénuries et autres augmentations des prix de ces produits», note un économiste. Il estime que la consommation des Algériens est conditionnée par la rumeur. «Un simple bruit sur une prétendue pénurie de sucre provoque des dysfonctionnements dans le système des approvisionnements et entraîne forcément une augmentation de la demande, synonyme de hausse des prix. Même par ces temps modernes, les Algériens continuent d'adopter des comportements d'antan en stockant des produits chez eux», dira-t-il. Une aisance trompeuse et un comportement de citoyens irresponsables Des milliers d'Algériens n'hésitent pas, à la veille de Ramadhan, à gager leurs bijoux pour faire face aux besoins du mois sacré. «C'est une bouée de sauvetage qui devrait être utilisée dans les cas de force majeure, mais qui est malheureusement utilisée d'une manière déraisonnée. Des familles gagent leur or, mais éprouvent moult difficultés pour le récupérer par la faute des pénalités de retard que nous sommes contraints d'appliquer conformément aux dispositions de la loi», affirme un responsable au niveau de la BDL Oran. Cette banque procède chaque année à la vente de l'or gagé et que les propriétaires n'ont pas récupéré faute d'argent. «Un simple brin de rationalité dans la consommation pourrait éviter la banqueroute à ces familles. Un simple comportement responsable pourrait éviter au pays de sombrer dans la dépendance aux importations. Il existe bien une filière agroalimentaire en mesure de couvrir les besoins du pays si les indices de consommation sont maîtrisés. Il est temps d'agir en citoyen responsable car certains de ceux qui viennent gager leur or, à l'approche du Ramadhan, reviendront encore solliciter le mont de piété à l'approche de la rentrée scolaire, puis à l'approche de l'Aïd El Adha, et c'est le cercle infernal», fera remarquer notre source. Rationnaliser les achats pour assurer la disponibilité Un grossiste en produits alimentaires est en train d'assurer des permanences de nuit pour servir sa clientèle. «Je ne sais plus où donner de la tête. Tous nos stocks sont épuisés et la demande est toujours grandissante. Je sais que c'est parti pour tout le mois de Ramadhan car même si l'affluence va ralentir, elle va reprendre de plus belle à l'occasion des achats pour les gâteaux de l'Aïd», dira-t-il. Pour lui, la solution passe par une meilleure maîtrise de la consommation des ménages, une maîtrise qui ne pourrait être imposée par aucune loi mais qui doit découler d'un comportement de citoyens responsables. Il argumentera : «Pourquoi stocker et laisser moisir de la semoule alors qu'en rationnalisant sa consommation on peut se garantir un produit frais à chaque fois ? En achetant raisonnablement, on garantit la disponibilité des produits et la stabilité des prix. La consommation pourrait devenir un indice fiable pour élaborer son plan de commande. Le contraire conduirait l'économie à la folie et le pays à la banqueroute. Le mois sacré veut que le bon musulman soit sage, économe et surtout réfléchi dans son comportement, mais actuellement nous assistons à une folie que rien finalement ne justifie sauf la propension de certains à n'être mus que par le désir de remplir une panse à l'appétit vorace.»