Les habitudes culinaires transmises de génération en génération dans cette ville deux fois millénaire sont restées intactes d'où ce goût particulier de la chorba milianaise préparée selon la tradition avec de la courge appelée «garaâ» que l'on retrouve uniquement à Blida, Médéa ou Miliana, de la coriandre fraîche et des tomates également fraîches du terroir. Ainsi aux environs de 9 h du matin, avant que les producteurs de ces produits potagers ne finissent de déballer leurs petits paniers et n'étalent leurs marchandises contenant des herbes, de la salade produite à Zougala ou à El Annasser au niveau de l'allée commerciale, sise au quartier Bab El Gharbi, les ménagères à peine sorties de leur sommeil, sans maquillage pour cacher leurs âges, un rictus au coin des lèvres, se dépêchent de faire leurs emplettes dans une ambiance calme et silencieuse. Ces femmes généralement piailleuses s'échangent le bonjour avec des hochements de tête ou des «sabah elkhir» à peine audibles. Les marchands évitant de perturber l'atmosphère négocient à voix basse. Aux environs de 10h30, cette allée se vide des ménagères et des petits marchands qui sont remplacés par une foule plus grouillante, des marchands de fruits et légumes, des vendeurs de diouls, ktayefs, olives, dattes et pain maison. Ce sont les hommes mal réveillés qui font les achats tout en se forçant de déployer un sourire qui a du mal à se dessiner. Les enfants, jeûneurs ou pas, affaiblis par la chaleur aoûtienne, traînent le pas sous l'ombre des platanes. Turbulents, bavards, ils irritent les plus âgés cachant difficilement le poids de la journée, cette fatigue, derrière une paire de lunettes aussi sombre. L'après-midi, jusqu'à quelques minutes du f'tour, les visages sont graves même à la sortie des mosquées. De ces mêmes mosquées, une fois la prière du maghreb accomplie, les visages s'illuminent, les sourires se font plus grands et plus sincères. Certains fidèles encore assoiffés vident leurs bouteilles d'eau en mâchant des dattes. Les «bessaha f'tourek» sont audibles puisque bien articulés. La ville se vide le temps d'une chorba. C'est le silence, un silence perturbé par le bruit des climatiseurs, le son des cuillères et les cris des enfants. On perçoit un mouvement bizarre, celui des jeunes qui, une tasse de café à la main et une cigarette à peine allumée, se regroupent dans la cage d'escalier ou derrière le mur du bâtiment pour se ravitailler en nicotine. Les rigolus entrent en scène La prière des tarawih terminée, Miliana vit ses soirées ramadhanesques dans la fraîcheur, la gaieté et la bonne humeur. Les familles par petits groupes convergent vers la Pointe des Blagueurs, une esplanade qui donna son nom au valeureux Ali Ammar dont la stèle érigée en cet endroit rappelle les glorieux exploits du chahid. Cet espace convivial se compose de trois terrasses de café qui accueillent quotidiennement des centaines de clients. On y trouve du café, du thé à la menthe, des glaces sous toutes les couleurs et de tous les goûts. Les tables, disposées tout au long de cette esplanade, permettent à la clientèle d'admirer la plaine du Cheliff et particulièrement l'autoroute où un jeu de lumière surprenant capte le regard des familles attablées. On rit, on respire l'odeur des merguez que dégagent les barbecues, une odeur mélangée à la voix de Hadj El Hachemi Guerrouabi récitant ses qacidate. Les rires à pleines dents, des voix qui s'élèvent pour appeler un tel, des jeunes filles qui discutent de leurs études, de leurs fiançailles, du mariage de telle ou telle cousine ou voisine. Une ambiance propre à Miliana. La place commence à se vider aux environs de 1h du matin. Les jeunes enivrés par le thé et le chaâbi ne quittent ce lieu féerique qu'à trois heures du matin. Vidant leur rire, s'éclatant en racontant des blagues, les jeunes rentrent chez eux pour prendre le s'hor et ne se réveiller que l'après-midi.