Six mois après le début du conflit armé mettant aux prises le président Mouammar Kadhafi et les forces qui lui sont loyales à ses opposants réunis au sein du Conseil national de transition (CNT), les combattants rebelles ont investi la capitale Tripoli samedi soir. La rébellion compte faire pression en misant sur l'aide de la population appelée à manifester sur l'armée loyaliste pour qu'elle lâche Kadhafi. Un plan baptisé «Opération sirène» a été élaboré en ce sens depuis plusieurs mois par le CNT, les combattants rebelles, en coordination avec l'Otan. Ce plan de soulèvement est mis en œuvre. Il consiste en la neutralisation d'objectifs militaires majeurs et forcer Kadhafi à fuir la ville, à se rendre ou à négocier son départ. Des combats ont été signalés dans la capitale. Les quartiers ont gagné en effervescence à l'approche des insurgés. Il y a eu des explosions et des échanges de tirs. Les avions de l'Otan ont survolé la ville et ont bombardé des objectifs militaires, notamment la caserne de Bab El Aziziya. «Le signal du soulèvement a été donné. Il y a un soulèvement à la fois spontané et encadré par les responsables du CNT. Le CNT a toujours été présent à Tripoli, de manière clandestine, mais ses délégués vont, maintenant, apparaître à la lumière», a dit, hier, à Reuters le philosophe français Bernard-Henri Lévy, «défenseur des rebelles libyens». Selon lui, le grand souci de l'opposition libyenne c'est d'éviter que ce signal de soulèvement et la liesse populaire qui s'ensuivra «ne donnent lieu à des débordements». Des rebelles venus par la mer de l'enclave côtière de Misrata, à 200 km à l'est de Tripoli, ont infiltré la capitale et participent aux combats, a affirmé un porte-parole local de la rébellion. «Des éléments avancés des rebelles de Misrata ont atteint Tripoli ce matin par la mer», a indiqué Abdoullah Melitan, du Centre des médias du conseil militaire de Misrata. «Ils ont rejoint les rebelles sur place et combattent actuellement à leurs côtés», a affirmé M. Melitan, dont les déclarations n'ont pas été confirmées de source indépendante. Selon lui, ces éléments sont au nombre d'environ 200 combattants, déployés dans la zone Souk Jomaa (dans le nord-est de la capitale) où ils ont fait la jonction avec des rebelles sur place. «Nous allons leur envoyer des renforts» depuis Misrata, a ajouté le porte-parole. De plus, les insurgés ont affirmé hier avoir pris le contrôle d'une forêt à l'ouest de la capitale, à l'issue de violents affrontements avec les forces fidèles au colonel Mâammar Kadhafi. «Les rebelles ont pris la forêt», située dans une zone stratégique sur la route de Tripoli, a indiqué un membre de la rébellion, cité par des médias. Ils ont également affirmé que «quatre mercenaires, qui n'étaient pas libyens, ont été tués», lors des combats alors que des médias ont fait état de deux véhicules des forces loyalistes brûlés. Ces affrontements ont rendu très difficile l'évacuation des étrangers. Le navire maltais qui devait les évacuer hier n'est pas entré dans le port à cause des tirs qu'il a essuyés, d'après une porte-parole du ministère polonais des Affaires étrangères. «Le bateau maltais MV Triva 1 qui devait évacuer les ressortissant étrangers de Libye n'a pas pu entrer dans le port de Tripoli dimanche matin. Il a essuyé des tirs et il est retourné en rade», a déclaré Paulina Kapuscinska. «Des discussions se poursuivent avec les rebelles pour permettre au navire d'entrer dans le port et évacuer les étrangers en toute sécurité», a-t-elle ajouté. Risque de guerre civile ? Commentant les combats en cours dans la capitale, Ahmed Jibril, porte-parole du CNT, a déclaré qu'«il s'agissait là des prémices d'une offensive visant à faire chuter le colonel Kadhafi après six mois de guerre dans le pays». Le risque d'embrasement général dans la ville est grand. En effet, Kadhafi, dans un message diffusé samedi par la télévision d'Etat, a exhorté ses partisans à «marcher par millions» pour «libérer les villes détruites», selon lui, par les rebelles. Il a félicité hier ses partisans pour avoir repoussé une attaque des forces rebelles dans la capitale et a accusé le président français Nicolas Sarkozy de vouloir s'emparer du pétrole libyen. Sur le même ton, son fils Seif El Islam a affirmé dans un autre message télévisé que le régime de Tripoli «n'abandonnerait pas la bataille». «Nous sommes sur notre terre et dans notre pays. Nous résisterons six mois, un an, deux ans,... Et nous gagnerons», a-t-il déclaré, tout en adressant un message aux insurgés : «Si vous voulez la paix, nous sommes prêts». Hier, le porte-parole du régime libyen, Moussa Ibrahim, est allé dans le même sens. «Tripoli est toujours défendue. Nous avons des milliers de soldats professionnels et des milliers de volontaires qui protègent la ville», a-t-il souligné. «Ces gens ne sont pas seulement patriotes mais ils ont des familles et des maisons qu'ils veulent protéger et ils comprennent bien que si les rebelles entrent, le sang sera partout», a estimé M. Moussa. S'achemine-t-on vers un conflit majeur ? Bernard Henri Lévy répond par la négative : «Je crois qu'il n'y en aura pas. Je prends le pari qu'on ne verra pas cette guerre civile que d'aucuns prétendent redouter.» Selon Ahmed Jibril, «l'Opération sirène» devrait durer encore plusieurs jours jusqu'à ce que Kadhafi soit assiégé». La suite des événements ? «Nous prévoyons deux scénarios : qu'il se rende ou qu'il s'échappe de la ville. Au cas où il exprime son souhait de quitter la Libye, nous accueillerons positivement cette proposition et nous l'accepterons», a enfin indiqué le porte-parole des rebelles. Bernard Henri Lévy estime au contraire que la place du dirigeant libyen sera dans le box des accusés. «La démocratie commencera par la mise en jugement des criminels de guerre», dit-il. La Tunisie reconnaît le CNT La Tunisie a décidé de reconnaître le Conseil national transitoire (CNT, rébellion) comme représentant légitime du peuple libyen, a rapporté hier l'agence d'information tunisienne, TAP. «La décision politique a été prise», a confirmé une source gouvernementale au moment où la situation s'accélère dans ce pays voisin et que les rebelles se trouvaient hier à une vingtaine de kilomètre de Tripoli. Depuis le début du conflit en Libye, Tunis observait une neutralité prudente vis-à-vis des deux belligérants. La Tunisie, qui elle-même a vu la chute du président Zine El Abidine Ben Ali en janvier dernier sous la pression de la rue, accueille sur son sol des centaines de milliers de réfugiés ayant fui la guerre. Par ailleurs, des milliers de personnes, en majorité des Libyens, se sont rassemblées samedi soir devant l'ambassade de Libye à Tunis, où le drapeau des insurgés a été hissé sur le toit du bâtiment. «Kadhafi traître !» «Le peuple veut ton départ !» criaient les manifestants, dont beaucoup de femmes, dans une ambiance de liesse. Des voitures klaxonnaient, des familles entières agitaient des drapeaux de l'insurrection hissés sur les capots des voitures. Certains manifestants ont tenté de pénétrer dans l'ambassade mais en ont été empêchés par les forces de sécurité. Italie : «La tragédie touche à sa fin» en Libye La «tragédie» du conflit en Libye «touche à sa fin», a jugé le chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini, dans une interview parue hier, dans laquelle il estime que la chute du régime de Kadhafi créera de «grandes perspectives» pour les entreprises italiennes. «Tout indique que cette tragédie touche à sa fin», a déclaré M. Frattini à Il Mattino. M. Frattini a jugé qu'un changement de régime y serait une chance pour les entreprises italiennes. «Nos entreprises peuvent être rassurées. Le nouveau gouvernement libyen respectera tous les contrats», a-t-il dit, soulignant que des ingénieurs de la société Saipem, filiale du groupe pétrolier italien ENI, travaillaient déjà à la remise en état d'infrastructures pétrolières en Libye. Le ministre a estimé qu'il y aurait également de «grandes perspectives» dans les domaines de la santé et de la construction. L'Italie, ancienne puissance coloniale en Libye et qui était l'un de ses plus importants partenaires économiques, notamment dans le pétrole, a rompu avec le régime et a été début avril l'un des premiers pays occidentaux à reconnaître la légitimité du Conseil national de transition (CNT), organe représentatif des rebelles. Rome a aussi mis à disposition de l'Otan sept bases aériennes pour les opérations militaires internationales en Libye et participe activement aux raids aériens et à l'embargo naval contre les livraisons d'armes à ce pays. A la mi-juillet, M. Frattini avait répété la position italienne selon laquelle il n'y a «pas d'autre option qu'un départ de Kadhafi», condition sine qua non à une transition politique dans le pays. Par ailleurs, l'ex-numéro deux du régime libyen, Abdessalem Jalloud, se trouve actuellement en Italie, a indiqué hier le ministre de la Défense italien Ignazio La Russa. «Je peux confirmer qu'effectivement le numéro deux du régime de Kadhafi est en Italie», a affirmé M. La Russa interrogé lors d'un déplacement. Samedi, des sources officielles tunisiennes ont indiqué que le commandant Jalloud, membre du conseil du Commandement de la révolution de 1969 en Libye, est arrivé en Tunisie dans la nuit de vendredi à samedi et est reparti à l'aube vers l'Italie. Londres estime que la situation est à «un point crucial» La situation en Libye est à «un point crucial», a affirmé hier le secrétaire d'Etat britannique aux Affaires étrangères, Alistair Burt, au moment où des informations font état d'affrontements entre forces loyalistes et rebelles dans la capitale Tripoli. «Il est difficile à cette distance d'apprécier ce qui se passe réellement, mais il est clair qu'il y a un soulèvement à Tripoli, ce qui devait arriver à partir du moment où les gens pensent que les efforts à l'extérieur de la capitale permettent de se soulever sans trop de danger contre le régime», a déclaré M. Burt dans un entretien à la chaîne Sky News. Selon lui, la coalition, en coordination avec l'opposition libyenne, «se préparait à différents scénarios et que beaucoup de préparation est en cours, dépendant de la situation sur le terrain».