Le futur gouvernement libyen qui devrait voir le jour en 2012, selon le calendrier établi par le Conseil national de transition (CNT), présidé par Mustapha Abdeljalil, n'aura pas de grandes difficultés financières pour relancer l'économie pétrolière du pays, paralysée par six mois de bombardements intensifs et reconstruire des villes présentant un visage apocalyptique. C'est largement dans les moyens de la Libye. Le Conseil de sécurité de l'ONU a donné son feu vert aux «alliés» pour débloquer, progressivement, les fonds placés par l'ancien régime dans les banques étrangères. Des dizaines de milliards d'euros ont été déjà virées, ou sont sur le point de l'être, au profit des nouvelles autorités qui ne vont pas tarder à s'installer à Tripoli. Cette première tranche devrait largement suffire pour couvrir les besoins humanitaires et assurer un retour à la vie normale dans les tout prochains jours. Le reste des fonds, évalué à des centaines de milliards d'euros, en argent frais, donc immédiatement disponible, et en biens immobiliers, le sera assez rapidement, pour permettre aux entreprises des pays qui comme la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, se sont le plus impliqués dans cette guerre, de réaliser des affaires juteuses dans ce pays maghrébin aux réserves pétrolières considérables. Les compagnies pétrolières occidentales établies en Libye sous le régime de Kadhafi sont déjà de retour pour remettre en marche leurs installations, certaines sérieusement endommagées par la guerre. D'autres, par miracle, sont indemnes et devraient être remises en fonction assez rapidement. C'est le cas du groupe pétrolier espagnol Repsol, établi en Libye depuis les années 70, qui assurait, avant le début du conflit armé, 550 barils/jour, soit 38% de la production pétrolière libyenne estimée à 1,8 million de barils/jour.
La démocratie est-elle possible avec les djihadistes ? La remise en marche de la production pétrolière devrait, dans tous les cas, demander du temps, une année ou deux, pour atteindre son niveau d'avant guerre. L'argent n'est pas, toutefois, le plus grand souci du CNT qui peut compter sur des «avances» des pays alliés du Golfe qui ont de tout temps caressé le rêve de se débarrasser de Kadhafi. La mise en place des futures institutions politiques, l'élection de l'Assemblée constituante et la désignation d'un nouveau gouvernement représentatif de toutes les régions du pays, des tendances politiques en présence et des aurochs, sera la difficulté majeure du CNT. Une démocratie véritable, à l'occidentale, est-elle possible, en effet, dans ce pays qui n'a connu que la dictature du colonel Kadhafi ? Les partisans de ce dernier sont-ils, définitivement, vaincus ? Quelle sera la place des djihadistes dans ces futures institutions, sachant que les milliers de miliciens islamistes salafistes, dont certains ont fait l'Irak, l'Afghanistan et séjourné dans Guantanamo, sont les artisans de l'assaut final contre le Bab El Aziziya, le quartier général du régime déchu de Tripoli ? La nomination par le CNT de Abdoul Hakim Belhadj, l'ancien émir du Groupe islamique libyen de lutte, à la tête du commandement militaire de Tripoli, est le résultat du rapport de force politique actuel au sein de la rébellion. Ce rapport de force est à l'avantage des milices les plus agissantes sur le terrain, à leur tête les djihadistes venus de Misrata, de Zintane ou de Djefren, les localités qui ont le plus résisté aux bombardements de l'armée de Kadhafi. C'est donc dans le combat que les salafistes qui contrôlent, aujourd'hui, les plus importants secteurs de la capitale ont forgé leur légitimité. Démobiliser les milices Le plus dur pour les futures autorités gouvernementales sera, par conséquent, d'en finir avec les poches de résistance des partisans de Kadhafi avant d'envisager de démilitariser les milices. Mohamed Ali, le coordinateur des groupes d'insurgés qui contrôlent la capitale, assurait hier au journal espagnol El Pais qu'une fois «la révolution terminée et le futur gouvernement installé, les milices devront remettre les armes». Il y a trop d'armes en circulation en Libye. Outre les stocks considérables pris ou abandonnés par l'armée de Kadhafi, la France a largué des tonnes de matériel militaire dont une partie est passée aux mains de civils et de trafiquants d'armes pour le compte d'Aqmi qui a élu ses bases dans le Sahel. La difficulté sera de convaincre les djihadistes de déposer les armes, sachant que leur objectif final ne s'arrête pas à la chute de la dictature libyenne. La «feuille de route» présentée jeudi dernier à la conférence de Paris par Mustapha Abdeljalil annonce que «l'Etat islamique sera l'axe autour duquel s'articuleront les institutions de la future Libye démocratique où la chari'a sera la source de la jurisprudence». Ce projet est-il aussi celui des démocrates libyens qui ont été les premiers à prendre les armes contre le régime en place pour réclamer la démocratie et le respect des libertés politiques dans leur pays ? On peut comprendre pourquoi les djihadistes insistent sur leur hostilité à une mission militaire internationale en Libye. L'Otan dans l'embarras Le secrétaire général de l'Otan, Anders Rasmussen, n'a pas eu le choix devant les caméras de télévision que de se plier, selon son expression, au principe du «respect de la volonté du peuple libyen». Les «alliés» évitent, délibérément, de parler, pour le moment, de la phase d'insécurité qui planera sur la future Libye et de l'hypothétique opération de désarmement des milices. Les civils libyens qui n'avaient jamais pris une arme de leur vie avant le début du conflit armé ne sont pas tentés de conserver leur kalachnikov et leur lance-grenades. Ils préfèrent, disent-ils, retourner à la vie civile pour savourer l'ère de liberté qui s'ouvre devant eux. Les islamistes, eux, s'organisent pour la prise du pouvoir à terme. Ils entendent conserver leurs armes pour les sortir peut-être un jour contre leurs «alliés» de l'Otan qui sont liés par le pacte international sur «la protection des droits de l'homme en Libye».