Le président Nicolas Sarkozy aurait donc conseillé la «patience» à Mustapha Abdeljalil, le transfuge du régime de Kadhafi, passé à la tête de la rébellion libyenne, qui ne s'accommodait pas du «soutien» de l'Algérie au colonel Kadhafi. C'est du moins ainsi qu'était perçue la neutralité du gouvernement algérien, pratiquement le seul dans la région à avoir refusé de reconnaître le Conseil national de transition (CNT). Ces six derniers mois, les insurgés ont vainement tenté de convaincre la France, la puissance qui a pris la tête de l'intervention militaire en Libye, d'user de pressions sur son ancienne colonie pour qu'elle prenne exemple sur le Qatar et les gouvernements de la région nord-africaine, et se range dans le camp de leurs partisans. A l'exemple, notamment, du Maroc qui, voyant le vent tourner à l'avantage de la coalition militaire internationale, avait dépêché son ministre des Affaires étrangères à Benghazi. Le gouvernement algérien avait même réservé une fin de non-recevoir à une demande française sur l'ouverture d'une base de dégagement d'urgence pour les avions «alliés» dans l'extrême sud algérien, ce qui a déplu à Paris. La propagande anti-algérienne passera alors à un autre niveau de provocations, dans le but évident de démontrer que la position de l'Algérie n'était pas neutre dans le conflit libyen. Les chaînes d'informations continues, France 24 contrôlée par l'Elysée, et Al Jazeera, propriété du Qatar, s'emploieront à rassembler les témoignages du «chahed ayane» sur le prétendu recrutement, financement, transport de mercenaires africains par des avions algériens et le trafic d'armes au profit du régime libyen. Ces accusations sans preuves entraient dans un plan en plusieurs phases sur le court et moyen termes inspiré par la France. Convaincre la communauté internationale de «l'implication' matérielle et politique de l'Algérie dans le conflit libyen. Ensuite faire voter une résolution par le Conseil de sécurité de l'ONU la condamnant pour «violation de la légalité internationale».Enfin, ouvrir la voie ainsi au débordement du conflit libyen sur son territoire et, après quoi, organiser une révolte populaire. Ce qui a été possible en Tunisie, en Egypte, au Yémen, en Syrie et en Libye, le sera forcément en Algérie où «‘opposition» ne désespère pas de prendre la tête d'une révolution populaire pour un «changement de système». En fait, le cas de l'Algérie n'est pas isolé au plan de refondation du monde arabe imaginé sous la formule du «Grand Moyen-Orient» par l'ex-président Bush au lendemain de l'invasion de l'Irak par l'armée américaine. Pour la réalisation de ce nouvel ordre politique régional, les Etats-Unis ont besoin des anciennes puissances coloniales de la région. La France sera chargée de conduire les opérations dans le nord de l'Afrique et au Moyen-Orient, si possible par l'intervention armée contre les régimes républicains sur place. Ce qu'elle fait en Libye. Ce qu'elle menace de faire en Syrie et en Iran, le président Nicolas Sarkozy multipliant, en ce moment, les appels à plus de sanctions militaires contre Damas et Téhéran. Son ministre des Affaires étrangères Alain Juppé se permettant de demander des «explications» à Alger sur son «aide» à Kadhafi. Le Royaume-Uni développe une approche moins violente dans le Golfe. La méthode britannique consiste à accompagner les monarchies absolutistes de la région à effectuer une transition douce vers un système monarchique parlementaire. Au besoin, elle a supervisé l'intervention militaire saoudienne à Bahreïn. Le Royaume du Maroc, allié privilégié et irremplaçable du monde occidental au Maghreb, intégrera dans le court terme le Conseil de consultation du Golfe (CCG), pour servir de trait d'union entre le Machrek et le Maghreb et, pourquoi pas, devenir cette force régionale pour accomplir une mission identique dans son voisinage en Afrique de l'Ouest. La France est consciente que ce projet ne sera pas viable avec un régime politique en Algérie qui est particulièrement hostile à l'influence des puissances occidentales dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient, comme c'est le cas en Syrie, l'Egypte ayant été mise au pas cadencé depuis la signature des Accords de Camp David. L'ancienne puissance coloniale a tenté de se repositionner dans l'ère du terrorisme, au début de la décennie 1990, en accélérant la mise en quarantaine internationale de l'Algérie. Le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, c'était un certain Alain Juppé, celui qui a géré la «prise d'otages de l'Airbus» et fera prolonger cette mise en quarantaine de plusieurs années. Ils ne sont pas rares les analystes qui n'excluent pas la main des services français dans cette affaire de prise d'otages de l'avion d'Air France à bord duquel se trouvait, par hasard, l'actuel «chef du gouvernement kabyle en exil» confortablement installé sur le territoire français, Ferhat Mehenni. Les services de renseignements français qui organisent le trafic de missiles libyen, un lot de 20 000 Sam 7 russes et Stringer américains passé aujourd'hui aux mains d'Al Qaïda au Maghreb (Aqmi), avaient planifié au début des années 1990, la révolte des Touaregs dans le nord du Mali. Une rumeur sur la prétendue arrestation de Akhamoukh, véhiculée par ces services secrets au moment de l'affaire Hadj Batou, avait été exploitée pour élargir l'insurrection dans l'Azaouate à la région de Tamanrasset. Le plan Alain Peyrefitte C'est curieusement dans cette conjoncture précise que la diplomatie française avait sorti le fameux Plan Alain Peyrefitte, sur la création d'un Etat pour les Touaregs chevauchant sur quatre pays (le nord du Niger et du Mali, le sud de l'Algérie et l'ouest de la Libye). Le colonel Kadhafi s'en inspirera alors pour miner les «Accords d'Alger» entre la rébellion malienne et le gouvernement de Bamako, et lancer son idée d'un Etat targui englobant les régions tracées par le plan Alain Peyrefitte. Le patriotisme de Akhamoukh ruinera les espoirs français et les manœuvres du colonel Kadhafi : «Les Touareg algériens sont des Algériens et fiers de l'être.» Le plan Alain Peyrefitte est remis alors dans le tiroir pour être sorti le moment voulu. D'autant que l'Algérie avait vaincu le terrorisme. Le plan Sarkozy Aujourd'hui, Sarkozy a un autre projet pour l'Algérie. Une Algérie qui ne sera plus aux mains des «Novembristes», comme le souhaitait le prédécesseur d'Alain Juppé au poste des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, grand ami du controversé philosophe Bernard Henri-Levy, natif de Béni Saf. Cet intellectuel juif, avant d'être français, abonné aux plateaux de France 24 et d'Al Jazeera, fait la promotion du «Printemps arabe», l'unique mouvement susceptible, à ses yeux, de désamorcer l'idéologie islamiste comme alternative au pouvoir au Moyen-Orient, comme seule garantie à la priorité des priorités du nouvel ordre politique dans le monde arabe : la sécurité d'Israël. Celui qui voit partout la menace de «l'organisation terroriste du Khamas», œuvre à la mobilisation des noyaux hostiles aux «régimes» de Damas, d'Alger et de Téhéran, pour parachever le processus de changement démocratique au Maghreb-Machrek. La victoire de la rébellion en Libye qui est celle de l'Occident, en général, et de Nicolas Sarkozy, en particulier, produira un effet dynamique dans la région et consolidera l'influence de la France dans son ancien espace colonial. BHL compte à cette fin sur des cercles d'amis avec lesquels il a su tisser des liens durant la décennie noire qu'il entend faire activer, maintenant que la tendance est au changement dans le monde arabe. Le plan Lyautey L'Algérie de Novembre, ce sera terminé dans le moyen terme ! Elle ne saurait survivre à un environnement totalement refondé, formé sur des Etats démocratiques gravitant autour de l'ancienne puissance coloniale. Dans ce nouvel équilibre régional, le Maroc aura pour mission de garantir la logique de l'ensemble francophone qui s'étend de Tanger au Rwanda, sans la moindre trace d'un Etat sahraoui hispanophone. Cet ensemble, qui avait été imaginé par le général Lyautey, est à l'origine du soutien sans réserve de la France aux thèses marocaines visant à l'annexion de l'ancienne colonie espagnole. La «Feuille de route» mise au point par les Etats-Unis avec le concours de la France et du Royaume-Uni pour le monde arabe, ne tient pas toujours la route, pour au moins ces deux raisons. Nicolas Sarkozy et son ami BHL partent du postulat que le «Printemps arabe» servira les intérêts occidentaux et sera la meilleure garantie pour assurer la sécurité d'Israël. Rien n'est moins sûr, surtout après la prise d'assaut de l'ambassade d'Israël au Caire. L'erreur de vision de BHL BHL confond entre aspiration à la liberté des peuples arabes et leur prétendue adhésion aux valeurs «démocratiques» de la société occidentale. Les insurgés arabes ont apporté la preuve qu'ils sont encore plus partisans de la cause palestinienne commune à tous les Arabes que les régimes dont ils se sont débarrassés. Ils sont, en outre, encore moins disposés à sacrifier leurs richesses énergétiques aux intérêts des compagnies pétrolières occidentales. Voilà l'erreur d'appréciation du philosophe qui roule pour le projet de Nicolas Sarkozy dont il prédit la victoire en 2012. BHL commet une erreur de vision de ce que sera l'Algérie. Une vision de philosophe versé dans la magouille politicienne. La jeunesse algérienne aspire, c'est évident, au changement démocratique et s'accommode mal des phénomènes de la «hogra». Elle n'est pas pour autant pro-occidentale. Par certains aspects, elle est encore plus «novembriste» que les artisans de Novembre. Ce que la France de BHL et de Sarkozy, qui refuse de s'innocenter des crimes du système colonial français en Alger, ne comprendra vraisemblablement jamais.