Kamel Bouchama ne cesse de nous surprendre avec ses œuvres prolifiques. Cette fois-ci, il signe un nouveau roman qui chemine allégrement hors des sentiers battus. L'auteur s'inspire de l'œuvre de Ibn El Muqafâa, Kalila oua Dimna laquelle a été reprise par Jean de Lafontaine à travers ses fables pour faire passer des messages aux hommes. Aussi, dit il : «je me sers d'animaux pour instruire les hommes». Kamel Bouchama dit sans démesure la vie sociale et politique dans la jungle à travers la narration d'une mouche témoin de son temps. Celle-ci lui fait entrevoir les faces cachées de certaines situations d'injustice, de gabegie, d'impéritie et de corruption. En fait, la mouche qui veut s'exiler semble être le point nodal du roman. Elle raconte à l'envi la vie dure et injuste dans cette jungle. Ecœurée et lasse, elle opte pour l'exil mais une fois là-bas, elle change d'avis et souhaite le retour pour améliorer la situation dans sa jungle. Un discours imagé faisant des feedback entre cette jungle et la nôtre qui emprunte les voies du patriotisme de bon aloi. Dans ce nouvel ouvrage, Bouchama explore la jungle avec ses animaux. Il construit une œuvre littéraire exigeante portée par un discours sensibilisateur mais sans verser dans un moralisme primaire. Une fresque sociale d'une vivacité enjouée, qui ne laisse passer ni l'iniquité ni l'arbitraire mais évite de moraliser à bon compte, est branchée en live sur la vraie vie. La drôlerie des situations souvent complexes, la liberté de ton, les magouilles échafaudées, la veulerie, de certains animaux de cette jungle, ici tout semble couler de source. Le romancier s'ingénue à faire un parallèle avec ces animaux, les vrais, et notre jungle dotée aussi de personnages aux allures animales par leurs comportements délétères.
Un auteur réaliste Dans ce récit, Bouchama trouve d'emblée la note juste alternant révolte et solution avec la même sobriété inspirée. De cette alternance naît un rythme envoûtant qui nous happe et nous emporte ! Il y a dans ce livre une tranquille désespérance, le poids d'une fatalité que l'écriture colorée rend palpable et allège à la fois. Ni passéiste, ni pessimiste, l'auteur est bien réaliste comme disait Renée Char «lucidité ma blessure». Et ça, l'écrivain l'a bien compris ; à tel point qu'il préconise des solutions sans être un donneur de leçons. Il s'en défend dans ses propos, «j'ai choisi cette forme d'écriture, celle du conteur de la Perse radieuse, Ibn El Muqafâa pour dénoncer un monde d'hypocrisie, de corruption, de népotisme et de déception… Un monde dans lequel nous avons perdu notre capacité à donner un sens à notre vie… Je l'ai choisie à dessein pour heurter les opinions convenues et leur faire admettre qu'il est temps de changer de méthode, de gouvernance et de régime pour être au diapason de la civilisation moderne universelle». Un livre fort intéressant d'un grand potentiel qui pousse à la réflexion avec un récit mené avec élégance d'un doigt de maître. A lire absolument !