Lundi dernier, l´eurodéputé écologiste catalan, Raúl Romeva, était le seul de ses collègues espagnols à s´être opposé ouvertement au Parlement européen où était débattue la question de la prorogation de l´accord de pêche UE-Maroc qui parviendra à expiration en février 2012. «Le Parlement européen a l´occasion aujourd´hui de démontrer pour la première fois qu´il ne cédera pas aux pressions marocaines.» Le Traité de Lisbonne, en vigueur depuis le début de l´année 2010, permettait désormais au Parlement de bloquer tout accord qui ne s´inscrit pas dans le cadre juridique, moral ou politique d´exercice des institutions européennes. En 2007, date de la signature de l´accord de pêche en question pour une période de quatre ans, la Commission européenne aurait passé outre l´avis du PE. Ce ne fut pas le cas, cette fois, car l´appel de Romeva sera entendu. Mercredi dernier, les eurodéputés se sont prononcés de justesse par 326 voix contre 296 et 58 abstentions, en faveur de la proposition introduite par l´eurodéputé finlandais Carl Haglund (libéral), mettant en doute la légalité de l´accord UE-Maroc, signé en février 2007 et prorogé pour une année en février dernier. Violation des droits des Sahraouis La majorité des parlementaires européens considère que le Maroc «ne respecte pas les droits du peuple sahraoui sur ses richesses naturelles». La motion du député attire l´attention sur «l´excessive exploitation des ressources maritimes sahraouies» et la «non-rentabilité» de l´accord en question pour les pays de l´Union européenne. Pour les activités de pêche des chalutiers européens, Rabat perçoit une contrepartie financière de 36,1 millions d´euros/an qui ne profite pas aux populations sahraouies. Les arguments des eurodéputés sont surtout politiques. Le PE semble avoir tenu compte de l´avis rendu par ses services juridiques à la fin de l´année 2010 sur le caractère illégal de la convention signée avec le Maroc, élargissant les activités de pêche au Sahara Occidental, malgré l´absence de titre de souveraineté de ce pays sur le territoire sahraoui, classé non autonome par les Nations unies et sujet à la décolonisation. Tout a été dit ? Les extraparlementaires ont encore en mémoire la récente expulsion brutale de leur collègue Willy Meyer d´Al Ayoune où il s´était rendu pour s´informer de la situation des droits de l´homme au Sahara Occidental. «Voilà la réponse des Marocains au PE», avait dit alors le Front Polisario dont le délégué pour l´Europe, Mohamed Sidati, a mis l´accent, vendredi dans une déclaration à la presse sur cet aspect qui a été déterminant dans la position des parlementaires européens, en saluant notamment «le respect des engagements de l´Union européenne sur la question des droits de l´homme». L´aboutissement d´un long combat Ce même aspect apparaît aussi dans la déclaration de la Commissaire européenne à la Pêche, la grecque Maria Damanaji, qui avait personnellement émis des doutes sur la légalité de cet accord en 2010, et selon laquelle la position des parlementaires européens «constitue un message à l´intention du Maroc l´invitant à introduire des réformes nécessaires dans le domaine des droits de l´homme». Le veto du PE est l´aboutissement d´un long combat mené au plan parlementaire par les eurodéputés favorables à la cause sahraouie avec le soutien des gouvernements des pays scandinaves, à leur tête le Danemark, qui a vainement tenté de convaincre Bruxelles de ne pas inscrire son action en marge de la légalité internationale. Les pressions de l´Espagne avec le soutien actif de la France et d´un certain nombre d´autres pays européens alliés du Maroc ont pu faire l´impasse, en février 2010, sur ces réserves. Finalement, le PE avait décidé de couper la poire en deux en se prononçant en faveur de la prorogation de l´accord pour une seule «année supplémentaire» afin de se donner le temps de négocier un accord dans de meilleures conditions. Rabat menace l´UE La réaction du gouvernement marocain avait été immédiate. Rabat avait ordonné aux chalutiers européens de quitter, dans la nuit, les eaux territoriales marocaines et du Sahara Occidental. Le lendemain du veto, elle prenait une tournure quasiment politique, Rabat avertissant des conséquences «très négatives» de ce veto sur les relations avec son plus important partenaire économique, l´Union européenne, à laquelle le Maroc est associé par un accord avancé depuis 2010. C´est ce qu´ont laissé entendre le ministre des Affaires étrangères, Fassi Fihri, et son collègue de l´Agriculture et de la Pêche, Aziz Akhennouche. L´Espagne, principal bénéficiaire de l´accord de pêche que lui octroient 100 licences de pêche sur 119 délivrées par le gouvernement marocain, voulait encore espérer, hier, que ces conséquences seront exclusivement économiques. 56 chalutiers européens dont 51 sont de nationalité espagnole ont, en effet, dû quitter les eaux territoriales marocaines et du Sahara Occidental. La ministre espagnole de l´Environnement, du Milieu Rural et de la Mer, Rosa Aguilar, a estimé à 30 millions d´euros les pertes financières espagnoles que l´Etat doit prendre en charge en période de grande austérité en raison de la crise économique. 43 propriétaires de chalutiers espagnols ont déjà payé au gouvernement marocain les droits de pêche jusqu´au 28 février 2012, date d´expiration du dit accord qui avait toutes les chances d´être renouvelé lorsque le Parlement européen n´avait pas de compétences pour bloquer les accords négociés parla Commission européenne. «Notre ami Jacques Chirac» Le 21 décembre, un nouveau gouvernement sera en place à Madrid. Celui du Parti Populaire que présidera Mariano Rajoy, le leader d´opposition conservatrice qui a eu droit, cette année, à une manifestation à Casablanca pour avoir dénoncé la prise d´assaut de Gdeim Izik en novembre 2009, un événement qui a pesé dans la position des parlementaires européens. En France, la droite pro-marocaine ne sera vraisemblablement plus au pouvoir en mai 2012. De bonnes raisons pour le Maroc de s´inquiéter de la perte de l´immunité dont il a bénéficié jusque-là en Europe grâce à un Jacques Chirac, symbole très fort, malade et décrédibilisé par la justice de son pays.