Le coup de force de la junte militaire qui a pris le pouvoir au Mali et déposé, cette semaine, le gouvernement d'Amadou Toumani Touré est la conséquence d´une phase d´instabilité politique dans laquelle ce pays voisin de l´Algérie est entré depuis au moins trois décennies. Le renversement, dans les années soixante, du président Modibo Keita, père de l´indépendance, par le colonel Moussa Traoré, fut inspiré par Jacques Foccart, le ministre résident du gouvernement français en Afrique. Tout indique, aujourd´hui, que les omniprésents services français sont pour quelque chose dans le coup de force du capitaine Amadou Sango contre le gouvernement démocratiquement installé d´Amadou Toumani Touré. La sécheresse n´explique pas tout Les facteurs ethniques et les problèmes économiques et sociaux ont, certes, beaucoup contribué à aggraver les tensions politiques internes. En 2011, ce pays du Sahel figurait en bas de la liste établie par les Nations unies sur le développement humain dans le monde. Si cette réalité est dans une large mesure aussi celle de la totalité des anciennes colonies françaises, dans cette immensité désertique s´étalant sur plus de 5 à 6 millions de kilomètres, du Tchad à la côte ouest atlantique, le Mali semble être le cas extrême dans cette région où la sécheresse et l´inhospitalité du désert ne peuvent pas tout expliquer. Ce sont, surtout, les facteurs historiques, militaires et géostratégiques, à la fois immédiats et profonds, qui sont à l´origine de la misère des populations locales qui vivent avec moins d´un dollar par jour et par famille. La misère sociale faisant bon ménage avec l´instabilité politique, la rébellion du Mouvement national de libération des Azawate (MNLA) a repris les armes ce mois de mars pour occuper toutes les localités du nord du pays, poussant des dizaines de milliers de personnes à fuir la guerre pour trouver refuge dans l´extrême sud algérien. Les otages et le trafic d´armes Le jeu trouble de l´ancienne puissance coloniale, intéressée à sauvegarder son influence dans le Sahel, aura pour conséquence cette instabilité politique durable du Mali. Car un Mali instable, fief d´Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), permettra à ses services de renseignements d´être chez eux. C´est à l´ambassade française à Bamako que le gouvernement espagnol a remis, mardi dernier, le plan d´évacuation de ses 300 ressortissants dans ce pays, laissant à Paris le soin de jauger l´évolution de la situation sur le terrain. C´est également aux services de renseignements français, qui ont pignon sur rue dans tous les pays du Sahel, que s´adressent les gouvernements des pays d´origine des otages enlevés par Aqmi. La plupart des pays d´origine des Européens enlevés régulièrement depuis 2002 au Sahel, ont, à un moment ou un autre, eu recours aux services français au Mali. La solution suggérée par Paris fut simple : le paiement des rançons. Une source juteuse pour le financement d´Aqmi. Paris avait lui-même déjà payé pour obtenir la libération des deux otages français, en février dernier, qu´Al Qaïda détenait depuis septembre 2009. En plus du paiement d´une forte rançon, l´organisation terroriste obtiendra, grâce aux pressions de la France, la remise en liberté de dizaines de ses membres emprisonnés en Mauritanie. Ce comportement obéit à un vieux plan d´influence française au Sahel et au Maghreb par la déstabilisation de cette région. Le plan français Durant la guerre de Libye, les services de renseignements français ont organisé, sinon fermé les yeux, sur le trafic de missiles libyens, un lot de 20 000 Sam 7 russes et Stringer américains passé aujourd´hui aux mains d´Al Qaïda au Maghreb (Aqmi), Paris n´a, en fait, jamais accepté de se faire doubler par l´Algérie dans la conduite des opérations contre Al Qaïda, en collaboration avec les Etats-Unis. La guerre de Libye visait, en fait, d´autres objectifs que celui de «sauver les populations civiles des bombardements du colonel Kadhafi». Cet argument «humanitaire», avancé aussi dans le cas de la Syrie par Paris, a fait faillite avec la récente proclamation de l´autonomie de la Cyrénaïque par un comité de 300 chefs de tribu à Benghazi. Il ne s´agit là, en fait, que d´une partie d´un plan d´atomisation du Sahel et des parties sud du Maghreb, élaboré pour sauvegarder les intérêts énergétiques et géostratégiques de la France. Après la chute du régime du colonel Kadhafi, la diplomatie française, conduite par le gaulliste Alain Juppé, avait sorti le fameux plan Alain Peyrefitte sur la création d´un Etat pour les Touaregs, chevauchant sur quatre pays, le Nord du Niger et du Mali, le sud de l´Algérie, le sud et l´ouest de la Libye. Ce plan avait inspiré le colonel Kadhafi pour miner les «Accords d´Alger» signés entre le MNLA et le gouvernement de Bamako, et lancer son projet d´un Etat targui. Le patriotisme algérien d´Amine el Okal, feu Akhamoukh fit échec aux doubles manœuvres de Tripoli et de Paris. Aujourd´hui, Sarkozy a sorti un autre projet dans les grandes lignes du plan Alain Peyrefitte, dans un environnement régional totalement refondé, formé sur des Etats démocratiques gravitant autour de l´ancienne puissance coloniale. La nouvelle zone d´influence Dans ce nouvel équilibre régional, le Maroc aura pour mission de garantir la logique de l´ensemble francophone qui s´étend de Tanger au Rwanda, sans la moindre trace d´un Etat sahraoui hispanophone. Cet ensemble, qui avait été imaginé par le général Lyautey, est à l´origine du soutien sans réserve de la France aux thèses marocaines visant l'annexion de l´ancienne colonie espagnole.Libye, Syrie, Mali, Rwanda, Sahara Occidental sont des terrains fertiles à la refondation de la zone d´influence de la France. Le rôle joué par ce pays dans la guerre de Libye et dans son prolongement régional au Sahel, son ancien empire colonial, peut apporter un début de réponse à la nouvelle situation d´instabilité politique qui s´est instaurée dans cet ensemble régional.