La Casbah d'Alger, cette cité millénaire classée patrimoine universel, est loin aujourd'hui de refléter cette valeur. Des centaines de familles continuent à habiter dans ces douirate en ruine dont le degré de délabrement est des plus inquiétants. Classée patrimoine mondial en 1992 par l'Unesco, la Casbah d'Alger paraît à première vue inhabitée et désertée de ses occupants. Mais des voix s'élèvent de l'intérieur et deux femmes apparaissent sur le long chemin de la rue Khebache-Rachid. La première, Dalila, pousse la porte d'une vieille maison de trois étages. Elle rentre délicatement pour éviter les planches et les cartons éparpillés à l'entrée, suivie de la deuxième. Cette dernière hésite un instant avant de s'engager, devant l'insistance de Dalila, qui prend le soin de la prévenir de la dégradation des lieux. Ces planches et ces cartons couvrent des creux formés au fil du temps et qui laissent apparaître les caves d'en dessous. Notre hôtesse nous apprend qu'elle a échappé à la mort à maintes reprises. En tout, 19 familles partagent ces lieux délabrés. Chaque famille occupe une à deux chambres en vérité inhabitables, qui servent à la fois de chambres pour dormir et de salle de séjour pour tous les membres de la famille. Prenant leur mal en patience, ces gens attendent depuis des années un logement social décent. «Cela fait quarante ans que j'habite ici. Quand je suis arrivée, la maison était déjà dans un état catastrophique», déclare Aïcha, la maman de Dalila. Elle ajoute qu'entre des murs suintants et fissurés de toutes parts, elle et sa famille passent des nuits blanches, surtout lors des intempéries, appréhendant chaque jour la catastrophe. Selon elle, les élus locaux les ont carrément trahis. Dalila affirme que les services du Contrôle technique de construction (CTC) viennent souvent inspecter les lieux, mais les mesures tardent à venir. Des douirate squattées... Dans le quartier d'en face, toutes les douirate sont vides. Seules les caves font encore office d'ateliers pour quelques artisans. Mouloud, un vieux commerçant de la cité, affirme que pratiquement toutes les bâtisses vétustes ont été vidées de leurs habitants qui ont bénéficié de logements sociaux. «Ces maisons sont squattées par d'autres familles qui sont venues de l'intérieur du pays durant la décennie noire», raconte-t-il, tout en regrettant que «ces locataires participent à la détérioration des habitations afin d'accélérer le processus de leur relogement». Rencontré dans une des nombreuses ruelles de cette cité, Hadj Zoubir, un fils de la Casbah qui a choisi de restaurer à ses frais sa douira, affirme que les habitants actuels de ces mêmes bâtisses ont été relogés au moins dix fois, bloquant ainsi le processus de relogement. «Ces gens trouvent le moyen de casser les piliers de soutien pour fragiliser les demeures, tout en faisant courir le bruit qu'ils sont en danger. Conjoncture politique marquée par la campagne électorale des législatives oblige !» ironise-t-il. Un plan d'urgence pour la sauvegarde de la Casbah existe bel et bien, rappelle Hadj Zoubir, «mais il n'a jamais été respecté, car ces indus occupants bloquent son avancement. Ils sont égoïstes et inconscients au point de renvoyer les agents chargés de la restauration en leur disant : «Laissez les choses s'aggraver pour que les élus locaux nous relogent», conclut-il amèrement.