Angela Merkel s'est livrée vendredi à une critique en règle de l'état de l'économie française au moment même où l'entourage de François Hollande faisait assaut d'optimisme sur les chances d'un accord franco-allemand pour relancer la croissance dans la zone euro. La chancelière a choisi une conférence d'hommes d'affaires allemands à Berlin pour répondre au président français, qui a transmis jeudi à ses partenaires européens son plan pour stimuler l'activité économique au niveau européen et mettre un terme à la crise de la dette qui déstabilise la zone euro. Elle a une nouvelle fois rejeté la proposition française de lancer des euro-obligations pour mutualiser la dette, ce qui "mènerait l'Allemagne à la médiocrité" selon elle, lançant une pique féroce sur l'état de l'économie française. "L'Europe doit discuter des différences croissantes entre les économies française et allemande", a-t-elle dit, ajoutant que l'Allemagne est le "pôle de stabilité et le moteur de la croissance" en Europe, une manière de dire que la France joue en seconde division dans la zone euro. Elle a cité l'évolution des coûts du travail entre la France et l'Allemagne au cours des dix dernières années, qui permettraient de constater "qu'au début du millénaire, l'Allemagne faisait plutôt moins bien ou au mieux pareil que son voisin à de nombreux niveaux ; mais les différences se sont fortement accentuées (en faveur de l'Allemagne, NDLR), ce qui est aussi un sujet qui doit être discuté en Europe". Le message est clair : la France a des problèmes de compétitivité qui seront résolus non pas par des dépenses mais par de douloureuses réformes structurelles déjà mises en œuvre par l'Allemagne et dont la France ne voudrait pas. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, avait envoyé une première torpille sur le même thème mercredi en critiquant la décision de François Hollande de revenir partiellement à la retraite à 60 ans, qui ne correspond pas selon lui à ce qui a été décidé au niveau européen. L'exécutif français a pu provoquer ces derniers jours cette réaction courroucée de son homologue allemand. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont reçu mercredi à Paris les dirigeants du parti social-démocrate allemand (SPD) pour débattre des dossiers européens, une manoeuvre de contournement qui n'a guère plu à Berlin. Le SPD soutient l'idée française de mutualisation des dettes dans la zone euro, même si ce serait à un horizon lointain, et Matignon a publié un communiqué pour vanter la "vision commune" entre le parti d'opposition à Angela Merkel sur "la stabilité budgétaire, les mesures de soutien à la croissance". Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui avait dans le passé accusé l'Allemagne de mener "une politique à la Bismarck", a lui aussi contribué à empoisonner l'atmosphère entre Paris et Berlin. Dans une interview publiée jeudi par L'Usine Nouvelle, l'ancien candidat à la primaire du PS a reproché à Angela Merkel son "aveuglement idéologique" dans l'austérité qui a selon lui plongé sept pays de la zone euro dans la récession. Mais les déclarations de la chancelière, formulées à l'avant-veille du second tour des élections législatives en France, sont surtout à relier à l'envoi des propositions françaises sur la croissance aux partenaires européens. Lors d'une conférence de presse avec le président du Conseil italien Mario Monti jeudi à Rome, François Hollande a insisté sur la nécessité d'introduire de nouveaux mécanismes de solidarité, dont des euro-obligations sous une forme ou une autre, lors du Conseil européen de fin juin. "C'est le moment de le faire. Il y eu trop de Conseils européens qui ont annoncé que la solution était trouvée pour que moi-même je me satisfasse, au prochain Conseil européen, de demi-mesures", a-t-il déclaré. L'entourage de François Hollande a minimisé la querelle, soulignant que "ces déclarations ne modifient en rien la dynamique bilatérale en œuvre". Jean-Marc Ayrault avait par avance tenté jeudi matin d'atténuer les tensions en démentant toute volonté française de constituer un front des pays du Sud de l'Europe pour isoler Angela Merkel. "Ce n'est absolument pas ma position et ce n'est pas celle de la France", a-t-il déclaré sur Europe 1, ajoutant que chercher à isoler Angela Merkel pour la faire plier "serait une grave faute politique qui n'aboutirait à aucune solution". Cette passe d'armes intervient paradoxalement à un moment où les autorités françaises se montrent de plus en plus optimistes sur les chances d'un accord qui se nouerait le 22 juin à Rome, lors d'une rencontre entre François Hollande, Mario Monti, Angela Merkel et l'Espagnol Mariano Rajoy, avant d'être entériné au Conseil européen des 28 et 29 juin. "Quoi qu'on en dise, il y a des convergences avec l'Allemagne. Il y a des points techniques, il n'y a pas d'affrontement, ça ne sert à rien de jeter de l'huile sur le feu", a-t-on déclaré dans l'entourage de François Hollande. "Les Allemands sont d'accord pour parvenir à un accord et des résultats ambitieux à fin juin. Le fait que chacun émette une contribution ne signifie pas qu'on ne veut pas travailler ensemble", ajoute-t-on de même source, soulignant même qu'il n'y a "pas de blocage" sur les euro-obligations. "Les Allemands n'ont aucun intérêt à ce qu'il n'y ait pas d'accord. L'Allemagne n'est pas dans une situation hégémonique. Il y a objectivement les conditions d'un accord."