Dramaturge, poète et romancier de talent, le génie de Kateb Yacine se traduit par l'extériorisation, dans une œuvre écrite, forgée dans la douleur et les conflits intérieurs "d'un homme enfanté par la mort et l'oppression", comme aime à le définir un de ses anciens collaborateurs. C'est à la prison de Sétif, où il s'est retrouvé après les manifestations du 8 mai 1945, que le jeune KatebYacine a découvert l'oppression, la mort, le vrai visage de la colonisation et surtout son peuple. Suite à cette expérience, traumatisante pour un adolescent de 16 ans, Kateb entame l'écriture de son premier recueil de poésie "Soliloques" en 1946 où il écrivit, en préface: "j'ai commencé à comprendre les gens qui étaient avec moi, les gens du peuple (...) Devant la mort, on se comprend, on se parle plus et mieux". Le collégien studieux qui écrivait des poèmes avait embrassé la cause de la patrie usurpée et mettait son talent au service de cette cause. A peine ses blessures carcérales refermées que Yacine se retrouve pris au piège d'un amour impossible pour sa cousine, Nedjma comme il aime à l'appeler, une passion qui le marquera jusqu'à sa mort. Durant son séjour à Annaba le jeune Yacine se radicalise politiquement et écrit des poèmes oscillant entre "l'amour et la révolution", avant de partir pour Paris où il donne, en 1947, une conférence sur l'Emir Abdelkader intitulée "Abdelkader et l'indépendance algérienne". Déchiré entre sa cousine mariée et sa "fascination pour les militants", Kateb Yacine transcende cette "contradiction" par la plume et publie le célèbre "Nedjma". Une nouvelle forme d'expression s'impose, cependant, aux yeux de Kateb, la littérature ne suffisant plus pour véhiculer ses idées et toucher les "masses populaires" qu'il admire tant. Par ses expressions corporelles et en lui faisant prendre conscience que sa littérature ne s'adressait pas à elle et donc pas aux Algériens, sa mère, qui avait perdu la raison après son incarcération, poussait inconsciemment Kateb vers le théâtre. Sa fascination pour les révolutions pousse le jeune dramaturge à publier ses premières pièces dans le recueil "Le cercle des représailles" comprenant quatre pièces différentes dont "le cadavre encerclé" mis en scène par le Français Jean-Marie Serreau, en 1954. La guerre d'Algérie, la guerre du Vietnam et l'occupation de la Palestine mettront Kateb Yacine sur la voie d'un nouveau procédé théâtral, celui d'écrire l'histoire universelle des révolutions et les mettre en scène à la façon du théâtre grec. "L'homme aux sandales de caoutchouc", "Palestine trahie", ou "La guerre de deux mille ans" étaient les prémices de la grande œuvre que Kateb voulait monter. Pendant que ces pièces germaient dans son esprit, Kateb Yacine travaillait comme écrivain public dans un café à Paris où il rédige les lettres envoyées par les ouvriers algériens à leurs familles, devenant ainsi le confident des émigrés algériens. Conforté par sa mère qui "par ses expressions inspirait même les comédiens les plus expérimentés", Kateb Yacine abandonnait la littérature française au profit d'un théâtre populaire pour parvenir à partager ses idéaux avec son peuple, un souhait qu'il a concrétisé sur les scènes et les places publiques 18 ans durant. Après avoir réalisé son rêve de dramaturge de la révolution universelle avec "la guerre de deux mille ans", une pièce sans cesse modifiée, Kateb écrit son œuvre ultime de par l'ampleur de sa symbolique, "Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc Manceau", à l'occasion du bicentenaire de la révolution française en 1989.