Le Professeur Chems Eddine Chitour, directeur du Laboratoire de valorisation des énergies fossiles à l'Ecole polytechnique d'Alger, explique dans ce bref entretien les dangers que représentent l'exploitation du gaz de schiste actuellement en Algérie. Il souligne aussi les enjeux stratégiques de cette exploitation au niveau régional et mondial. Le Temps d'Algérie : Malgré les risques majeurs contre l'environnement et des solutions alternatives (hydrocarbures littorales et off-shore, énergies renouvelables), l'Algérie se dirige droit vers l'exploitation du gaz de schiste. Comment expliquer cela? Pr Chitour : En fait, il n'y a pas de stratégie d'ensemble si ce n'est d'amasser des dollars que l'on gaspille frénétiquement, ce qui reste est mis dans des banques américaines où ils s'effritent. Alors que notre meilleure banque, je n'arrête pas de le marteler depuis quinze ans, c'est notre sous-sol. Il est incompréhensible de miser sur une technologie dangereuse –pour le moment– qui n'a pas fait ses preuves et qui n'est pas nécessaire pour le moment. On se souvient que la loi sur les hydrocarbures a été votée sans débat et beaucoup de choses obscures dans cette loi inquiètent. Il est dit que l'Algérie rachètera une partie de la production des opérateurs, cela veut dire que la production nationale ne sera pas suffisante. Pour mémoire d'après l'Agence internationale de l'énergie, l'Algérie n'exportera plus de pétrole à partir de 2030. Avec quoi allons-nous vivre ? Nous qui sommes dépendants du pétrole à 98% ! Quel intérêt à l'Algérie à exploiter le gaz de schiste, maintenant ou dans le futur ? A qui profite l'exploitation du gaz de schiste algérien? L'exploitation du gaz de schiste ne sera pas facile, elle coûtera cher, elle mobilisera d'énormes quantités d'eau, elle va détruire durablement l'écosystème du Sahara avec sa faune et sa flore. Le Sahara vit. Il sera notre prochaine base arrière avec les changements climatiques. Mettre 15 000 m3 par puits avec un puits tous les 100 mètres est une catastrophe pour un pays en stress hydrique. On ne voit pas très bien à qui cela va profiter si ce n'est aux financiers des banques étrangères et sûrement pas aux générations futures. Il faut garder une veille technologique sur l'exploitation du gaz de schiste. Quand la technologie sera mature, que les prix baisseront, qu'il n'y ait pas de risques écologiques, sismiques ou hydriques, les générations futures pourront l'exploiter sans danger. Les enjeux de l'exploitation de gaz non conventionnels seraient énormes. Ils pourraient bouleverser la géopolitique mondiale et les rapports de forces selon les experts. Dans quel sens ? C'est encore une utopie, pour le moment les gaz de schiste font peur et l'Europe est en train de freiner. Seuls les Etats-Unis foncent, mais là encore on pense qu'en 2030, ils interviendraient pour environ 30%, ce n'est donc pas le chaos, le plus à craindre est un pays comme le Qatar qui bradera le gaz naturel pour tenter de couler l'Algérie. Les autres marchés sont captifs et régionaux. Nous devons nous méfier de ce pays frère….