Chérifa Keddar est la présidente de l'association Djazaïrouna des familles victimes du terrorisme, membre fondateur de la Fédération internationale des associations de victimes du terrorisme, membre de la coalition des victimes des années 1990 et porte-parole de l'Observatoire des violences faites aux femmes depuis 2011 créé à la suite de la deuxième agression de femmes à Hassi Messaoud. Dans cet entretien, elle explique la lutte menée par son association et les principes à défendre pour arriver à ses fins. Le Temps d'Algérie: Pourquoi un Observatoire des violences faites aux femmes? Chérifa Keddar : L'Observatoire des violences faites aux femmes (OVIF) n'existe pas sur le papier, mais notre travail a commencé en 2010. D'abord, son travail consiste à mettre les principes en place pour faire adhérer des personnes uniquement à travers la signature de notre charte. Nous avons posé cette condition pour qu'une fois l'Ovif installé, on n'aura pas à régler des problèmes internes. Cette charte règle beaucoup de problèmes, notamment de terminologie, et de positionnement par rapport aux textes et conventions universelles et par rapport à l'aspect cultuel et sociétal de notre droit. Cette charte fait adhérer uniquement les personnes ayant tranché sur certaines questions et qui adhèrent aux principes énoncés par la charte. Suite à l'agression des femmes à Hassi Messaoud, nous avons convenu qu'il ne fallait plus répondre uniquement aux situations d'urgence, mais qu'il fallait un observatoire de veille, qui regroupe des personnes et non des associations, dont le travail est un travail de réflexion, d'information et d'aide aux associations et aux centres d'écoute qui font un travail de terrain, et fournissent l'Ovif en informations sur les cas de violences. Ce dernier ne se substitue pas à leur travail. Concernant la terminologie, c'est surtout le mot «féminisme» qui pose problème. Pourquoi ? Certains pensent que ce mot est une provocation envers la société. Il choquerait la société. En termes clairs, si la société n'est pas choquée et n'est pas provoquée, elle n'avancera pas. Maintenant si on ne veut pas choquer la société, inutile donc de créer un Observatoire des violences à l'égard des femmes. Mieux vaut rester chez soi, ne prendre aucun risque et laisser donc faire les violences. Une femme qui milite pour les droits des femmes est une féministe. Il ne faut pas que ce soit un tabou. Si le terme choque, et bien il faut choquer justement pour casser les tabous. Et les droits des femmes, c'est d'abord l'égalité effective de l'homme et de la femme dans tous les domaines. On n'a pas à faire référence ni au cultuel, ni à la société ni au patriarcat ni à quoi que ce soit qui priverait la femme algérienne d'être l'égale de l'homme en application de l'universalité de ces droits-là par le biais des conventions internationales ratifiées par l'Algérie, même si l'une d'entre elles comporte des réserves. Il n'y a aucun moyen juridique permettant d'empêcher une femme en Algérie de revendiquer l'égalité effective des sexes du moment que le code des procédures a introduit en 2008 un article qui permet aux victimes de faire appel si le magistrat ne prend pas en considération une convention internationale ratifiée par l'Algérie. La société serait-elle toujours réticente, voire plus qu'avant, aux revendications des féministes? Nous revendiquons l'égalité dans la légalité et l'universalité des droits. Que la société adhère ou pas, ce n'est pas aux groupes que nous nous adressons mais aux individus, en l'occurrence la femme discriminée. C'est à elle de demander si elle accepte la discrimination ou pas. Ce n'est pas à la société de répondre à la place de la victime. Je pense qu'en aucun cas la majorité ne devrait priver un individu d'un droit universel, ni par vote, ni par charte, ni par un quelconque autre moyen. On ne doit pas permettre à la majorité de se prononcer sur un droit fondamental comme l'égalité ou le droit de disposer de tous ces droits. Ils sont garantis par les textes internationaux mais également par la Constitution algérienne elle-même, la première Constitution arabo-musulmane à consacrer l'égalité des sexes d'ailleurs.