Josette Audin, la veuve de Maurice Audin disparu à Alger après avoir été arrêté par des militaires français en 1957, a annoncé lundi dernier que le président François Hollande s'était engagé à lui faire remettre tous les documents relatifs à la disparition de son mari. Les circonstances exactes de la mort de cet assistant en mathématiques à l'université d'Alger, membre du Parti communiste algérien (PCA) et militant de la cause anticolonialiste n'ont jamais été communiquées officiellement. Josette Audin a précisé avoir reçu un courrier du chef de l'Etat dans lequel il assure avoir «demandé à Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, de vous recevoir afin de vous remettre en mains propres l'ensemble des archives et documents en sa possession relatifs à la disparition de votre mari». François Hollande assure également que la France «doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d'abord, mais également envers l'ensemble des citoyens». L'historienne Raphaëlle Branche, maître de conférences à l'université Paris-I et auteure de «La Torture et l'Armée pendant la guerre d'Algérie», 1954-1962 et «La Guerre d'Algérie : une histoire apaisée ?» relativise la portée de cette annonce. Ainsi, par rapport à l'ouverture des archives militaires, Raphaëlle Branche annonce qu'on peut d'abord se féliciter de cette décision, car cela fait des années que Josette Audin réclame ces documents… «Mais elle est d'abord symbolique car je doute qu'on y trouve un secret d'Etat ou même des éléments nouveaux», puisque selon elle, l'historien Pierre Vidal-Naquet avait déjà pu consulter les archives du ministère de la Justice dans les années 1980 et n'y avait rien trouvé éclairant les circonstances de l'assassinat de Maurice Audin. «Il s'agit cette fois d'ouvrir les archives du ministère de la Défense. Or, depuis la loi sur les archives de 2008, qui a fait passer à 50 ans le délai pour consulter les documents classés secret défense, une grande partie était déjà consultable dès cette année», a-t-elle précisé. Par ailleurs, au vu de la notoriété du meurtre de Maurice Audin, Raphaëlle Branche déclare ne pas croire que ces archives de la Défense aient attendu gentiment qu'on les regarde. Il y a certainement eu une sorte de ménage. «Je ne suis donc pas très optimiste. Josette Audin avait annoncé, en mai 2001, avoir porté plainte contre X dans l'affaire de cette disparition. Mais du fait des lois d'amnistie, une action en justice était impossible ... Les lois d'amnistie votées après la guerre d'Algérie portaient sur des actes qui n'avaient pas été jugés (...). Pour contourner ces lois, les questions liées à la guerre d'Algérie ont toujours été traitées en correctionnelle devant la 17e chambre du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, en charge des affaires dites 'de presse' (apologie, diffamation). C'est ainsi que la bonne foi de l'historien Jean-Luc Einaudi avait été reconnue lorsqu'il avait parlé de «massacre» à propos de la répression du 17 octobre 1961. Le détour par la procédure en diffamation est décevant, mais c'est, pour ceux qui l'utilisent, une façon indirecte de faire que justice soit rendue», précisera Raphaëlle Branche. «Mais à ma connaissance, ajoute l'historienne, il n'y a jamais eu de procès en diffamation concernant la disparition de Maurice Audin. Ni archives, ni action judiciaire. Cela veut dire que les circonstances de la mort de Maurice Audin ne seront jamais reconnues officiellement. Le seul endroit où se trouve la réponse, selon Raphaëlle Branche, c'est dans la tête des protagonistes ; il faut donc se dépêcher de recueillir les paroles du général Aussaresse et de Gérard Garcet (à l'époque sous-lieutenant)». «Ils ont certes toujours refusé de reconnaître leur culpabilité, mais le président de la République, chef des armées, pourrait demander à ces militaires en retraite de dire ce qu'ils savent», conclura l'historienne.