C'est dans le marbre, le granit ou la pierre que Youcef Boutrif s'exprime avec fougue et audace. Dans l'espace, il se sent libre. Les œuvres de cet artiste nous plongent dans un monde où les dimensions s'inversent et où l'humour, l'inquiétude et l'espoir sont toujours présents et se côtoient. Ses statues pour la plupart sont inspirées du monde animalier. La sculpture de Youcef Boutrif se caractérise en effet par un double refus: de description naturaliste, d'une part, et d'autre part, d'une distraction géométrique, d'un maniement de structures et de volumes fermés sur leur autonomie, presque coupés de tout lien avec l'être du monde. Il met souvent en confrontation des personnages de petites tailles et de volumes. Ces êtres fragiles, lilliputiens, constituent la trame de son œuvre. Il privilégie les volumes bien lisses, et l'on ressent, tension, opposition, rapport de force et équilibre précaire. Cherchell regorge de marbre, granit, serpentine et onyx Ces personnages portent les noms de La femme et le serpent, Sirène, Le nid ou La vierge, La fécondité, L'œil magique… Ce travail, Younes l'a mené à travers diverses matières, au long d'une poétique évolutive, en des thèmes distincts qui affleurent tour à tour, ou se développent de front, se croisent ou s'enchevêtrent, se réactivent à distance, dérivent les uns dans les autres. La pierre ! Cette matière dure, froide, muette… Cet artiste a voulu à travers elle s'exprimer et lui donner un sens. Youcef Boutrif est natif d'Alger, et comme par atavisme, il est parti habiter à Hadjret Ennas à Cherchell, une région qui regorge de marbre, de granit, de serpentine et même d'onyx. Ces gisements ont déjà servis depuis l'antiquité à la construction de monuments, de forts et de statues qu'on retrouve à Cherchell. «A la recherche du temps perdu», ce féru de l'espace qui est tombé fou amoureux de cette matière mate, mémoriale, s'en va souvent se perdre dans les montagnes à la recherche des formes et des couleurs qui séduisent son esprit. C'est aussi un autre passage vers cet autre côté, du temps que ne cesse de désigner obliquement l'œuvre entière de Youcef Boutrif. Avec cet artiste, le temps n'appartient en rien au réel, qu'il n'apparaisse qu'avec l'homme : que tout ne soit jamais passé, ne se passe jamais que dans le seul et même instant inaccessible de l'être. Sur le rivage, trois vagues suffisent à effacer les empreintes de l'homme, mais l'artiste s'en va à la mer sur d'autres voies sculpter sur des roches mouillées. Il poursuit la même approche de l'intemporalité en quoi s'inscrit, se disperse la durée humaine : la même quête, à jamais inachevée de cet «autre-que-l'homme» face à quoi se découvre l'homme, dont l'interrogation définit sa particulière dénature, et dans quoi bientôt il se perd. Ses sculptures invitent à la méditation En admirant ces œuvres, nous pouvons dire que Youcef Boutrif se délivre sans doute de la solitude par le travail : il sculpte, il transforme, il s'affranchit lui-même et affranchit la matière, il affranchit enfin son semblable et lui ouvre des voies pour pénétrer profondément les affinités secrètes que subissent les hommes aux choses, la sensibilité aux objets. Et pour cela, avec un sens aigu de l'observation, Youcef Boutrif trouve son inspiration dans notre environnement. Dans sa démarche, il évite de prendre parti, il laisse toute liberté d'interprétation au spectateur. Ses sculptures, image de notre société, invitent à la méditation.