47 ans après avoir été incendiée par l'Organisation armée secrète (OAS), l'ancienne cokerie qui appartenait, depuis 1946, au réseau de l'entreprise Electricité et gaz d'Algérie (EGA), porte toujours les stigmates de l'époque coloniale. Les habitants de Ruisseau, dans la commune de Mohamed Belouizdad, désignent le bâtiment par deux noms : «Dar El kahla» ou alors «Dar el mahrouga». L'immeuble, abandonné, est situé au chemin Fernane Hanafi, en contrebas du stade communal du 20 Août 1955. Ses alentours immédiats ont été clôturés, les lieux ne sont pas préservés de la dégradation. Pourtant, la bâtisse est située au milieu des habitations aménagées sous forme d'immeubles et la résidence universitaire Revoil. C'est tout un monde qui vit autour d'elle. Dar el mahrouga, selon les habitants du quartier, appartient au groupe public Sonelgaz. D'ailleurs, juste en face, l'entreprise a aménagé des locaux qui abritent deux de ses directions. La centrale électrique du Hamma se situe derrière. Réduite en un «nid» pour pigeons, Dar el kahla se trouve dans un état de délabrement total. Plusieurs parties, dont la grande cheminée, se sont effondrées suite au grand séisme du 21 mai 2003. «Le matin, avec la rentrée des classes, nous avions trouvé la cour jonchée de gravats provenant de la grande cheminée», se rappelle un agent de sécurité du CEM Mustapha Benramdane El Hanafi. En effet, l'établissement scolaire et l'immeuble ne sont séparés que par une clôture en dur. «Dar el kahla est une vieille construction», affirme M. Agoun, président de l'APC de Belouizdad. Elle a été construite dans les années 1930 au niveau du centre industriel de Ruisseau qui comprenait notamment les abattoirs, construits en 1929, mais aujourd'hui disparus pour laisser place à la nouvelle cour d'Alger. Un bâtiment très ancien Dar el kahla appartenait à l'époque à une entreprise privée qui y produisait du gaz sur la base du coke, un produit dérivé du charbon. L'entreprise s'appelait Lebon. «En 1947 est créé l'établissement public Electricité et gaz d'Algérie (EGA), auquel est confié le monopole de la production, du transport et de la distribution de l'électricité et du gaz. EGA regroupe les anciennes entreprises de production et de distribution, de statut privé, notamment Lebon et Cie et SAE (Société algérienne de l'électricité et du gaz), tombant sous le coup de la loi sur la nationalisation de 1946, promulguée par l'Etat français», précise la Sonelgaz dans son site internet. L'entreprise publique ajoute que «EGA est pris en charge par l'Etat algérien indépendant, en quelques années, grâce à un formidable effort de formation, l'encadrement et le personnel algérien assurent effectivement le fonctionnement de l'établissement. «C'est ainsi que la Sonelgaz a succédé à l'EGA, au lendemain de l'indépendance. Les infrastructures Lebon étaient détruites au début de l'année 1962. Elles étaient la cible des «attaques terroristes» des commandos de l'OAS pour exprimer en désespoir de cause leur refus de «l'Algérie algérienne». Ces derniers, dans leur œuvre destructrice, s'étaient également attaqués au siège de la bibliothèque nationale (rue Frantz Fanon, à Alger-centre). C'est en tous les cas ce que nous affirme un élu de la localité. Après l'incendie qui l'a ravagée, la construction devait rester dans le même état quarante-sept ans durant. A en croire le président de l'APC, les autorités locales avaient envisagé, dans les années 1980, de récupérer le terrain et de procéder à la démolition du reste de la bâtisse afin d'ériger une mosquée. «Les habitants de Ruisseau ne disposent que d'une seule mosquée», précise M. Agoun. Le projet a été abandonné par ses initiateurs, et Dar el kahla continue de subir les aléas de la nature causant son effondrement partiel. Comme la bâtisse fait partie du patrimoine de la Sonelgaz, c'est à elle que revient la décision de sa nouvelle affectation. Des questions restent posées : que compte faire la Sonelgaz de l'ancienne cokerie ? Pourquoi l'endroit n'a pas été assaini depuis l'incendie provoqué par les commandos de l'OAS ? Nous n'avons pas réussi à obtenir des réponses à nos interrogations de la part des responsables concernés. Cependant, à en croire les informations recueillies auprès des travailleurs du groupe, rencontrés à la centrale d'El Hamma, la Sonelgaz compte reprendre l'assiette de terrain dans le but de construire un centre d'archives pour ses services. Une chose est sûre : la démolition de la cokerie n'est pas envisagée par les promoteurs du projet d'aménagement en boulevard du chemin Fernane Hanafi. Pour ce faire, les maîtres d'œuvre ont programmé plutôt la démolition de la clôture des nouveaux locaux de la Sonelgaz.