Des centaines de manifestants turcs occupaient hier la place Taksim d'Istanbul, désertée par la police après deux jours de violents affrontements, et étaient déterminés à poursuivre leur confrontation avec le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Dans la capitale turque, la police a dispersé par des jets de grenades lacrymogènes et des canons à eau une foule de plusieurs milliers de personnes qui chantait des slogans hostiles au chef du gouvernement, a rapporté l'agence de presse Anatolie. Les manifestants ont fait de nombreux dégâts. Ces échauffourées ont fait 56 blessés parmi les forces de l'ordre et plusieurs manifestants ont été interpellés, selon Anatolie. Le syndicat des médecins d'Ankara a pour sa part indiqué que 414 civils avaient été blessés samedi dans les incidents survenus dans la capitale, dont six souffrant de traumatismes crâniens graves. Des incidents similaires se sont produits autour des bureaux stanbouliotes du Premier ministre, dans le quartier de Besiktas. Signe de la volonté des manifestants de défier M.Erdogan, des barricades restaient dressées dans toutes les rues menant à la place Taksim, faites de mobilier urbain, de voitures renversées ou même de bus municipaux, stigmates de deux jours d'affrontements avec la police et d'une nuit de liesse. Confronté à l'un des plus importants mouvements de contestation populaire depuis l'arrivée de son parti conservateur au pouvoir en 2002, M.Erdogan a été contraint de lâcher du lest samedi en ordonnant à la police de se retirer de Taksim et du petit parc Gezi, dont la destruction annoncée a lancé la révolte. Immédiatement, des milliers de personnes ont envahi les lieux dans une immense clameur de victoire. Sur fond de chants et de feux d'artifice, la place est restée noire de monde pendant une bonne partie de la nuit, malgré la pluie. Quelques heures avant ce repli, M.Erdogan avait pourtant fermement assuré que la police resterait sur la place Taksim car elle «ne peut pas être un endroit où les extrémistes font ce qu'ils veulent». Sur le même ton, il avait assuré que son gouvernement maintiendrait le projet d'aménagement urbain contesté de la place. Des organisations de défense des droits de l'Homme turques et étrangères, ont fait état de plus d'un millier de blessés. Amnesty International a même évoqué la mort de deux personnes. Ces chiffres n'ont pas été confirmés de source officielle. Au sein même du pouvoir, plusieurs voix dissonantes se sont fait entendre pour regretter la brutalité des interventions policières. Le chef de l'Etat Abdullah Gül a jugé «inquiétant» le niveau de la confrontation. Et le vice-Premier ministre Bülent Arinç a estimé que «plutôt que de lancer du gaz sur des gens (...) les autorités auraient dû les convaincre et leur dire que leurs inquiétudes étaient partagées». Face à ces réactions, le Premier ministre a reculé et concédé que la police avait agi dans certains cas de façon «extrême». «Il est vrai qu'il y a eu des erreurs, et des actions extrêmes dans la réponse de la police», a-t-il dit, ajoutant qu'une enquête avait été ordonnée par le ministère de l'Intérieur. Des pays alliés occidentaux, comme les Etats-Unis et le Royaume Uni samedi, puis la France dimanche, ont eux aussi appelé le gouvernement turc à la retenue et des centaines de personnes ont défilé samedi soir à New York pour exprimer leur soutien aux manifestants turcs. Damas n'a pas manqué de dénoncer la politique du Premier ministre turc, qui se présente souvent en modèle démocratique pour les pays arabes. «Erdogan dirige son pays d'une façon terroriste et détruit la civilisation et les acquis du peuple turc», a lancé le ministre syrien de l'Information Omrane al-Zohbi.