Le patron du Front national met encore du sien. Au soir d'une carrière politique jalonnée d'écarts, Jean-Marie Le Pen crédite son sinistre registre sémantique d'une énième provocation. En déplacement dimanche à Marseille, le vétéran de la classe politique hexagonale a encore une fois prononcé une de ces expressions haineuses qui ont forgé son image raciste et cultivé son programme. Avec son habituel style de mauvais goût, le chef du FN a ironisé sur la perspective d'une cité phocéenne dirigée un jour par un maire d'origine maghrébine. «Il y a 300 000 musulmans à Marseille et le jour où ils seront 800 000, le maire ne s'appellera plus Gaudin (chef actuel de la municipalité, ndlr) mais peut-être Ben Gaudin.» L'ancien parachutiste tortionnaire au plus fort de la bataille d'Alger, s'exprimait dans une conférence de presse. Il avait choisi Marseille pour lancer la campagne du FN pour les élections européennes de juin. Le Pen conduit la liste de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, une région à forte implantation de l'électorat frontiste. Fidèle à un discours raciste dont il a porté l'étendard depuis son entrée en politique, il a donné, pour la circonstance, un avant-goût de ce que sera sa campagne européenne. «L'immigration de masse tend à prendre l'allure d'une véritable colonisation», s'est-il emporté. Ces propos ont un air de déjà vu. La sortie marseillaise du chef extrémiste survient une semaine après sa condamnation pour «provocation à la discrimination raciale». La justice lui a infligé 10 000 euros d'amende pour des propos tenus dans les colonnes du journal d'extrême droite Rivarol en avril 2004. Il s'en était pris violemment aux musulmans de France. En avril 2004, une interview accordée au Monde, daté du 19 avril 2003, lui avait valu la condamnation du tribunal correctionnel de Paris. « Le jour où nous aurons en France, non plus 5 millions mais 25 millions de musulmans, ce sont eux qui commanderont», avait-il déclaré à l'époque. Avant de sévir à nouveau un mois plus tard dans Rivarol : «(…) quand je dis qu'avec 25 millions de musulmans chez nous, les Français raseront les murs, des gens dans la salle me disaient, non sans raison : mais M. Le Pen, c'est déjà le cas maintenant». Quand les «Ben Gaudin» ont libéré Marseille des nazis Seconde ville de France, Marseille abrite d'importantes communautés étrangères. Son statut de cité portuaire en a fait la première destination pour l'immigration originaire du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne. Première communauté de la Cité, les Algériens y sont installés depuis longtemps. Les premiers arrivés ont débarqué sur les quais du Vieux Port aux alentours de la Première Guerre mondiale. Haut fait d'armes qui n'a pas échappé aux rappels des historiens, les Algériens ont joué un rôle décisif dans la libération de Marseille du nazisme. «Les tirailleurs algériens sont les premiers à être entrés dans la ville», avait indiqué l'historien Benjamin Stora en août 2004 au moment du 60e anniversaire du débarquement de Provence.Longtemps dirigée par le socialiste Gaston Defferre (1944-45 et 1953-86), la municipalité de Marseille est conduite depuis 1995 par Jean-Claude Gaudin, un ex-centriste qui a rejoint l'UMP à sa création. A l'image de ses prédécesseurs, il a cultivé l'image d'une ville mosaïque, où le vivre ensemble s'est ancré dans la réalité. Le maire n'a pas tardé à condamner les propos racistes de Le Pen. Sans se sentir «personnellement visé», il a affirmé prendre «très mal qu'on essaie de déstabiliser cette mosaïque qu'est Marseille». Le porte-parole de la mairie et président du groupe UMP au conseil municipal, Yves Moraine, s'en est pris, lui aussi, au chef du FN qui, «décidément, ne se bonifie pas avec l'âge». Il a opposé à la sortie du dirigeant extrémiste une perspective municipale plausible. «Il est effectivement vraisemblable que dans l'avenir Marseille aura un maire avec un nom à consonance étrangère, pour nous ce n'est pas quelque chose qu'on voit arriver avec horreur mais au contraire le couronnement de ce creuset culturel qu'est Marseille».