Le trafic de carburant à travers nos frontières avec le Maroc a dépassé le cadre de la simple contrebande, pour devenir, aujourd'hui, un phénomène qui a pris des dimensions alarmantes à tous les niveaux et menace la stabilité de la région, la paix sociale, notre économie et notre sécurité nationale, si aucune mesure n'est prise en urgence pour, au moins, freiner son ampleur, à défaut de l'éradiquer. Le trafic de carburant, qui n'était qu'un simple fléau de la contrebande transfrontalier dans la région ouest, constitue un réseau très organisé dans lequel des barons très puissants activent en toute impunité et emploient des milliers de véhicules, entre légers et lourds, pour siphonner la quasi-totalité des 80 stations-service que comptent la wilaya de Tlemcen et celles implantées dans les wilayas limitrophes de Aïn-Témouchent et Sidi-Bel-Abbès, créant une tension et une crise sur le carburant sans précédent qui s'est étendue à la wilaya d'Oran. Selon les différents services de sécurité, douane comprise, il existe quelque 8000 véhicules, appelés communément «hallaba» qui vaquent à ce trafic. Il ne faut pas être naïf et croire que ceux qui s'adonnent à ce trafic sont originaires des daïras frontalières. Les jeunes et moins jeunes qui s'adonnent à cette activité sont originaires de presque toutes les wilayas du pays, sauf qu'il existe deux types de contrebande. Il y a ceux qui ont leurs propres véhicules, des barons, et ceux qui utilisent leurs moyens roulants pour alimenter ces barons qui ont érigé le long de la bande frontalière des dépôts de stockage de carburant, une sorte de Naftal parallèle. Les quantités livrées par Naftal à la wilaya de Tlemcen sont de l'ordre de 58,6 millions de litres annuellement, qui sont, de l'avis des responsables de la DMI et de Naftal, destinés normalement à la consommation en carburant de dix wilayas. Il existe dans la wilaya de Tlemcen quelque 250 000 véhicules immatriculés et les contrebandiers livrent quotidiennement au Maroc 80% du quota alloué à la wilaya. Pour, soi-disant, venir à bout de ce phénomène qui risque de plonger la région dans une interminable crise socioéconomique, le wali de Tlemcen, au lieu de combattre la source du mal, a fait une note dans laquelle est stipulé que ceux qui activent dans la légalité ont été sanctionnés par la diminution des quotas, mais à l'encontre des trabendistes aucune mesure n'a été prise, comme si on était dans un état de non droit, au vu de l'impunité de ceux qui se livrent quotidiennement au tarissement des stations de la région et provoquent ainsi une série d'accidents car leurs véhicules n'obéissent à aucune norme technique. L'on se demande par quel artifice ces trabendistes ont pu avoir leur précieux document de mise en circulation, sachant que leurs véhicules circulent avec des fausses immatriculations ou ne répondent pas aux normes requises par la législation nationale. Actuellement, la crise du carburant est vécue comme un calvaire. Les chauffeurs de taxi et ceux en charge du transport public doivent faire des chaînes interminables et prient le tout-puissant pour qu'à l'arrivée, le pompiste ne leur lance pas à la face : «le stock est à sec.» L'ampleur de ce trafic, nous l'avons constatée durant deux jours le long de la frontière de l'Ouest. Des barons insouciants, dopés par l'appât du gain L'ampleur de ce trafic et son organisation, l'accompagnement de la filière depuis la station-service jusqu'à la livraison du produit aux marocains nous ont conduit à nous demander si la sécurité du pays n'est pas mise en péril par ceux pour lesquels les milliards de centimes ou de dinars ne représentent rien à leurs yeux. Des centaines de voitures et de véhicules lourds livrent quotidiennement aux dépôts des barons implantés à Roubane, douar Ouled Kaddour, Chbikia et Mghagha de Bab El-Assa, des milliers de litres de carburant sans qu'aucun service de sécurité ne les inquiète en cours de route, comme si la contrebande de carburant était légale ou que le pouvoir de l'argent avait placé ce trafic au-dessus de toutes les lois de la république. Sinon, comment expliquer que des milliers de véhicules, légers et lourds, passent à travers les barrages dressés par les services de sécurité, douane comprise, sans que les conducteurs de ces véhicules ne soient inquiétés, arrêtés ou leurs moyens de transport saisis comme le stipule la loi ? Donc les véhicules livrent leur plein aux dépôts des barons à raison de 1250 dinars le jerrican de 30 litres d'essence et 1600 dinars la même quantité de mazout. L'autoroute Est-ouest ayant facilité le déplacement, les trafiquants peuvent faire jusqu'à quatre pleins par jour et les quantités de carburant livrées au Maroc sont énormes, au point, selon des personnes au fait du sujet, que des sociétés de distribution de l'est marocain ont déclaré faillite. Il faut dire que le mazout au Maroc revient à plus de 150 dinars alors qu'il est cédé par les contrebandiers à 1600 dinars les 30 litres soit même pas 60 dinars le litre. Le contrebandier marocain gagne environ 100 dinars sur chaque litre de carburant issu de la contrebande avec l'Algérie. Donc, les sommes amassées par ce trafic sont colossales et les 70% des quotas de carburant alloués à la wilaya de Tlemcen sont détournés par les hallaba vers le Maroc. Si l'on considère que chaque véhicule livre clandestinement 400 litres par jour, la quantité journalière de carburant destinée à la contrebande est de l'ordre de 400 fois les 800 véhicules, soit 320.000 litres par jour. Donc 320.000 litres qu'il faudrait multiplier par 365 jours. Ce qui nous donne un total annuel de 1 158 400 00 litres. Ce sont des chiffres approximatifs, la réalité est toute autre car il existe des hallaba occasionnels qui, pour se rendre dans les régions frontalières, cèdent leur plein de carburant aux contrebandiers. Un trafic à ciel ouvert Dès la nuit tombée, le carburant, collecté par les hallaba et entreposé dans les dépôts clandestins, est livré au-delà de la frontière à dos d'ânes. Des centaines d'ânes, chargés de milliers de jerricans de 30 litres, traversent nos frontières ouest en toute quiétude. Il se peut que des personnes soient interceptées par les gardes-frontières des deux pays mais rarement les bêtes qui connaissent très bien leur chemin sans âniers. On se demande d'ailleurs si ce trafic est toléré et que les autorités locales se retrouvent impuissantes pour le combattre. Cette question est devenue presque tabou quand on sait que des milliers de voitures se livrent à ce trafic et passent les mailles des différents barrages sans être inquiétées. De Tlemcen à Roubane, notre véhicule a été arrêté plus de dix fois. On se demande alors comment les hallaba arrivent à passer tous ces barrages de contrôle. Que cache cet énorme trafic qui a plongé la wilaya de Tlemcen dans une crise de carburant qui a provoqué des émeutes qui risquent de prendre une autre tournure dans la mesure où la crise s'amplifie chaque jour davantage et que le trafic n'a jamais baissé. La dernière note du wali de Tlemcen ordonnant le rationnement n'aurait fait qu'aggraver la situation car elle n'a pas dissuadé les hallaba qui continuent à faire leur plein de carburant, malgré les restrictions, au vu et au su de tout le monde. Et aux paisibles citoyens de faire des chaînes interminables pour se faire approvisionner à hauteur de 500 dinars pour les voitures légères et 2000 dinars pour les véhicules lourds. Certaines stations, comme celles d'El Emir Abdelkader ou de la pierre du chat et du rond-point de la RN 35 ne travaillent que la nuit et sont fermées toute la journée. Au vu des véhicules stationnés aux abords de ces stations et de l'importance de leur nombre, il ne faut pas être savant pour découvrir que, de nuit, ces dernières ne livrent les stocks de leur carburant qu'aux hallaba qui, pour chaque plein, verseraient un petit «bakchich» aux pompistes. La note de la discorde La note du wali est perçue par les citoyens comme une impuissance de l'Etat à combattre le fléau de la contrebande de carburant et une injustice à l'encontre des gérants des stations-service qui se retrouvent ainsi pénalisés malgré la légalité de leur activité. Malgré les émeutes qui ont éclaté à travers tout le territoire de la wilaya de Tlemcen pour dénoncer cette mesure arbitraire, selon beaucoup de citoyens, les autorités locales semblent maintenir cette option qui n'arrange guère les intérêts économiques de toute une région, otage de la déliquescence des pouvoirs publics. Conflit d'intérêts ou pacification artificielle d'une paix sociale, les citoyens ne comprennent pas l'attitude des autorités locales de la wilaya de Tlemcen. «Il faut que les autorités locales s'attaquent à la source du mal. elles peuvent saisir tous les véhicules de ce trafic qui sème la mort au quotidien en une seule journée, sauf que le wali a peur des manifestations ou de toute autre forme de protestation. Il gère donc sa carrière au détriment du bien-être des citoyens et de l'économie nationale», affirment des citoyens qui considèrent que «les services de sécurité ne sont nullement responsables de cette situation car ils sont tributaires des consignes et ordres du chef de l'exécutif». Tout le monde s'accorde à dire et est unanime pour exprimer «son incompréhension face à la prolifération du nombre de hallaba et la facilité avec laquelle ces derniers s'adonnent à leurs activités clandestines». Cette situation a généré d'énormes tensions sans que les autorités locales ne se soucient des citoyens. La dernière réunion qui a regroupé les gérants des stations-service et les représentants de la chambre du commerce et de l'industrie a montré que la dernière note du wali n'a fait qu'envenimer la situation et les gérants ont menacé d'une fermeture certaine si le wali ne sursoit pas à cette décision «arbitraire» et ne s'attaque pas aux hallaba qui continuent à paralyser une région en toute impunité. Les gérants des stations-service réagissent Interrogés à l'issue de la réunion qui les a regroupés au siège de la chambre du commerce et de l'industrie avec le directeur des mines de la wilaya de Tlemcen et les représentants de la chambre du commerce, les gérants des stations-service n'ont pas hésité à «dénoncer la dernière note du wali» qu'ils ont considérée «comme une faiblesse de l'administration dans sa lutte contre la contrebande» et une «fuite en avant du wali qui, au prix de la paix sociale dans sa wilaya, a sanctionné les honnêtes commerçants et laissé en paix les trafiquants, lesquels, en réalité, ne sont nullement concernés par les dernières mesures du fait que nul ne peut les empêcher de faire leur plein de carburant». Et de souligner : «Ils imposent leur diktat et les pompistes sont impuissants pour leur faire face. Nous préférons fermer plutôt que d'être exposés aux disputes et aux insultes quotidiennes.» avant de s'interroger : «Qui va nous protéger des agressions des hallaba, car nombre de nos pompistes ont déjà subi de graves attaques sans que l'administration ne réagisse.»