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«Morsi n'a rien fait pour briser le blocus criminel contre Ghaza» Pierre Stambul, co-président de l'Union juive française pour la paix, au Temps d'Algérie :
Grand militant de la cause palestinienne, Pierre Stambul compte parmi les juifs qui luttent contre le sionisme et les colonisations des peuples, dont le peuple palestinien. Auteur de plusieurs livres, dont Israël-Palestine, du refus d'être complice de l'engagement, et pour qui «le sionisme est l'opposé du judaïsme multiethniques, grand fervent de la paix», est également co-président de l'Union juive française pour la paix (UJFP). Il évoque, dans cet entretien, en son nom personnel, surtout, la situation en Egypte et les relations existant entre les Frères musulmans égyptiens, Israël et le Qatar. Le Temps d'Algérie : Une large frange du peuple égyptien réclame, aujourd'hui, le départ du président Morsi. Le départ éventuel de l'actuel président égyptien est-il favorable à l'instauration de la paix au Proche-Orient (entre Israël et la Palestine en particulier) ? Pierre Stambul : L'accord de paix entre Begin et Sadate, qui est vieux de 35 ans, s'est vite transformé en machine contre les Palestiniens. Sadate puis Moubarak se sont comportés en «collabos», poussant les dirigeants palestiniens à capituler sur leurs revendications essentielles et garantissant la «sécurité» de l'occupant sur la frontière entre le Sinaï et le Néguev. Moubarak avait activement participé au blocus criminel de Ghaza, allant jusqu'à installer des herses pour couper les tunnels qui permettent aux habitants de Ghaza d'échapper à la famine. Depuis la chute de Moubarak, les nouveaux dirigeants du pays, d'abord militaires puis Frères musulmans, ont eu comme préoccupation principale de plaire aux Etats-Unis d'Amérique et donc de maintenir l'accord de «paix» de 1978-79. Pourtant, les occasions se sont multipliées de rompre cet «accord», quand des manifestants ont pris d'assaut l'ambassade israélienne au Caire ou quand l'armée israélienne a sciemment tué plusieurs militaires égyptiens à la frontière. Il est indispensable que l'Egypte soit enfin dirigée par des dirigeants soutenant les droits des Palestiniens et donc se libérant d'un accord qui les a transformés en collabos.
Quelles seraient les relations des Frères musulmans d'Egypte, en général, et de Morsi, en particulier, avec Israël ? En principe, le Hamas est la branche palestinienne des Frères musulmans et il aurait donc été logique que Morsi le soutienne. Il n'en est rien. Il y a bien eu une visite, lors de l'agression israélienne contre Ghaza en novembre 2012, mais fondamentalement rien n'a changé. La frontière entre l'Egypte et Ghaza est presque aussi difficile à franchir qu'autrefois, surtout pour les Palestiniens, et l'Egypte n'a pas fait ce qu'elle aurait dû faire pour briser ce blocus criminel et permettre aux Ghazaouis de commercer librement avec le monde extérieur. Fondamentalement, Morsi agit surtout pour plaire au gouvernement américain, et donc aussi à la direction sioniste.
Le président Morsi avait appelé au «djihad» en Syrie contre le pouvoir en place. Cela arrange-t-il les intérêts d'Israël ? Les révolutions arabes sont des mouvements populaires qui posent des questions fondamentales : la question sociale avec le partage des richesses, la démocratie, les droits et les libertés, la fin de la corruption et la dignité. Pour l'instant (à l'exception de Bahreïn), les monarchies pétrolières du Golfe qui ne sont pas démocratiques et qui exploitent de façon éhontée des millions de travailleurs immigrés, privés des droits fondamentaux, n'ont pas été touchées par ces révolutions. Elles essaient même de prendre la tête de la Ligue arabe. Ces monarchies, tout comme l'Egypte, ont pendant très longtemps entretenu les meilleures relations avec la Syrie de Bachar El Assad. C'est depuis que le pouvoir syrien est menacé par la révolte du peuple syrien que la Ligue arabe appelle à son renversement. En fait, ni les pays du Golfe, ni le gouvernement Morsi ne soutiennent le peuple syrien. Ils soutiennent les forces qu'ils arment, c'est-à-dire principalement des djihadistes. Pour le gouvernement israélien, l'essentiel est qu'il n'y ait en Syrie aucun vainqueur et que la guerre dure éternellement. La prolongation de cette guerre permet aux dirigeants sionistes de détourner l'attention de ce qui est à l'œuvre : l'occupation, l'apartheid et la destruction de la société palestinienne.
Le maintien des Frères musulmans d'Egypte au pouvoir arrange-t-il Israël ? Les dirigeants israéliens ont eu un moment peur de l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans. Ils s'en sont vite accommodés quand ils ont réalisé qu'il y avait de fait un partage du pouvoir politique et économique entre Les Frères musulmans et l'armée. Du coup, l'essentiel pour les dirigeants sionistes est préservé puisque aucun dirigeant égyptien ne songe à revenir sur la «neutralisation» de l'Egypte consécutive aux accords Begin-Sadate. Des affrontements ont déjà eu lieu entre pro et opposants à Morsi. Craignez-vous que la situation en Egypte se détériore ? Personne ne peut souhaiter que le sang coule. L'Egypte a un double écueil à éviter. D'un côté, les Frères musulmans ont fait la démonstration qu'ils ne remettaient pas en cause la richesse insolente de la bourgeoisie égyptienne. Face à la pauvreté, ils proposent la «charité», alors que c'est la question de la possession des richesses qui est posée. Ce pouvoir a montré qu'il était l'ennemi des femmes et l'ennemi des libertés. Il a mis partout ses hommes pour contrôler la culture, l'information, l'art, les médias, la justice. Il doit partir. Mais, ce départ ne doit surtout pas permettre un retour aux affaires d'une armée toujours aussi corrompue et dictatoriale et qui n'a jamais rompu avec les méthodes de l'époque Moubarak. Cette armée, qui avait conclu un accord avec les Frères musulmans, est en train de le remettre en cause à la faveur du mouvement populaire. Ne soyons pas dupes : la révolution égyptienne n'est pas achevée. Il lui reste des questions fondamentales à régler : la démocratie, des mesures radicales pour attaquer la question sociale, une juste répartition des richesses. Pour un tel avenir, il faut rejeter aussi bien les Frères musulmans qui représentent une bourgeoisie obscurantiste que l'armée qui représente un retour à l'ancien régime. Le départ éventuel de Morsi du pouvoir arrange-t-il le Qatar et sa politique étrangère dans la région ? Le Qatar représente l'aile «moderniste» des monarchies du Golfe, alors que le régime saoudien en représente l'aile obscurantiste. À la faveur de la chute des dictatures mafieuses (Tunisie, Egypte, Libye, Yémen …), ces monarchies pensent que l'heure est venue pour elles d'imposer leur «modèle». La façon dont elles ont financé les Frères musulmans et les salafistes en Egypte n'est pas étrangère à la victoire électorale de ces partis aux premières élections législatives égyptiennes. La mise en cause de ce nouveau pouvoir qui, visiblement, est rejeté par une large partie de la population égyptienne, n'est pas une bonne nouvelle pour le Qatar. Entretien réalisé