Cela fait déjà quelques jours qu'il se prépare pour… le boulot. Aziz a sa saison de business pour pouvoir se la couler douce le reste de l'année. Sa saison et son mois. Aziz a toujours travaillé en été et accessoirement pendant le Ramadhan, quand il n'est pas trop fatigué par le repos et les veillées sacrées jusqu'au s'hor… du petit matin. Depuis quelques années, le hasard d'un calendrier hégirien «tournant» a fait que l'été et le Ramadhan ne font plus qu'un. Ce n'est pas un décalage de dix jours chaque année qui va changer quelque chose. L'été est long en Algérie. Il bouffe le printemps relégué au rang de figurant virtuel et grignote sur l'automne orphelin de ses orages et de ses feuilles mortes. Quand il était plus jeune que ça, Aziz vendait des esquimaux sur la plage. C'était son rêve d'enfance. Tout petit, il regardait d'autres manger ces glaces au chocolat en riant sur le sable et il s'est dit qu'il ne pourra en déguster, lui, qu'en en vendant. Un jour, il a provoqué un énorme éclat de rire en classe en répondant à la maîtresse qui lui demandait ce qu'il voulait faire quand il deviendra grand : vendre des esquimaux. Dans sa tête, les choses étaient claires, quand on vend des esquimaux, on peut en manger quand on veut. Surtout quand on ne pense pas encore au pain. Quand il a découvert qu'on pouvait finalement vivre sans glace au chocolat et que ce n'était pas évident d'en manger à volonté sous prétexte qu'on en vend, il a décidé de changer de métier. Ça tombait bien, il y avait un nouveau créneau porteur : louer des parasols, toujours sur la plage. D'abord, parce qu'on ne peut pas louer des parasols ailleurs que sur la plage. Ensuite, parce que Aziz est pauvre mais il partage une chose avec les riches. Il ne supporte pas la chaleur. Depuis que le Ramadhan est devenu colocataire avec l'été, il ne travaille plus beaucoup sur la plage. Comme il n'y a pas grand monde à s'aventurer sur le sable le ventre vide et l'invective balle au canon, il sous-traite «son» espace et ses parasols à son voisin pas assez débrouillard et menaçant avec le maire pour obtenir sa propre place. Aziz reprendra son activité à plein de temps et de plein droit juste après l'Aïd, quand le Ramadhan aura libéré la maison. En attendant, Aziz aura fait feu de tous bois. Diouls, boureks aux crevettes sans crevettes, cherbet à l'eau et au colorant, kalbellouz sans amendes, zlabia Boufarik de Bachdjarah, frik sétifien de la Pointe Pescade, metloue cuit sur tadjin métallique en terre blanche et à la fin les jouets chinois fabriqués en Chine avec du plastique d'origine algérienne très lointaine. Aziz se prépare depuis quelques jours à travailler. Il ne rêve plus de glaces au chocolat, il n'en vend même pas. Il a maintenant des ambitions qui ont grandi avec la chaleur, la faim et accessoirement la piété. Il a stocké, appelé, prévu et pensé. Il n'est pas encore riche mais il ne supporte pas la chaleur. Alors il se prépare à l'ombre, le téléphone scotché à l'oreille. Ne pas supporter la chaleur, c'est déjà ça de pris, avant la prospérité. Aziz rêve déjà de louer de petites barques, il y a une vie après les parasols. Mais le Ramadhan est là et il désespère d'une vie sans cherbet et sans frik. Mais il va en vendre quand même, cette année.