Injustement accusée de donner son dos à la mer, Oran demeure encore et pour toujours une ville côtière qui sait offrir, à chaque saison estivale, dans le plus parfait des rituels, ses plages pour des moments de joie et de détente. L'emballement est toujours le même depuis des lustres, presque une fête, les enfants d'abord ensuite les jeunes, en groupe qui n'allaient pas plus loin que Aïn El-Turck ou rarement jusqu'à Cap Falcon pour épancher leur soif d'évasion et de fraîcheur. A Kristel aussi la plage et ses joies se mêlaient allégrement avec la fête de Sidi Moussa tout comme Sidi Mansour et bien d'autres endroits un peu oubliés par le temps. Les années trente et ses congés payés, la mode pour les privilégiés et à la plage et à ses cabanons bleus comme la couleur du large attiraient toujours plus. Les Européens de la ville et de l'intérieur venaient chaque été boire à satiété de ce soleil qu'on disait éclatant et revigorant. Le sel, le soleil, le sable et le temps qui coule paisiblement autour d'une anisette pour tout oublier des soubresauts de l'histoire qui n'a pas dit son dernier mot. Pour les Algériens de souche, il y avait Cueva d'el agua, les Genêts, Aïn Franine et Kristel, pas plus. La corniche était un endroit interdit pour les «autochtones». Les années soixante, l'indépendance recouvrée, les Oranais découvrent avec volupté un nouveau plaisir. De St-Rock jusqu'à Bousfer, les plages s'offraient sans rechigner à tous ceux qui leur était interdites auparavant. La nuit, c'était un autre monde qui n'était pas réservée aux gens du petit peuple. D'autres moeurs, d'autres temps, on se levait à l'aube pour préparer le repas car la baignade ouvre l'appétit. Un plat de riz avec du poulet, de l'eau, beaucoup de pain et une pastèque en guise de dessert. On prenait le car à 70 centimes Oran-Aïn El-Turck. Des pères de familles, des femmes voilées avec des ribambelles d'enfants attendent leur tour pour embarquer dans des bus de marque Chausson. Encore de nos jours, ce quai qui a été transformé en café est communément appelé Sotac. Chaleur suffocante et visage contre visage, les passagers empilés comme dans une boîte de sardines se devaient de patienter pour pouvoir respirer la brise marine. Arrivée à Aïn El-Turck, principale plage à la mode de l'époque, c'est la grande délivrance. Les enfants n'ont d'yeux que pour les vagues et les parents préparaient l'emplacement avec comme toit de fortune contre les rayons du soleil un voile (haïk). Les enfants ne sortaient presque pas de la mer et faisaient attention à ne pas écraser la pastèque qu'on enfouissait à demi près du rivage pour la rafraîchir tout comme les bouteilles de limonade «Fruit de l'Aurès». A deux heures, les ventres creux, les enfants sont invités au festin : du riz à volonté, peut-être un morceau de poulet, beaucoup de pain, une tranche de pastèque, un verre de limonade à terminer avec un grand goulot d'eau. Un petit repos forcé et puis re-baignade jusqu'à 16 heures ou 17 heures. On se lave les pieds, on lave les ustensiles et retour avec déjà les prémices du coup de soleil sur le dos. Fatigue et attente, les bus affichent complet, on se bouscule, on se bagarre et puis on monte. La fatigue et la joie en même temps se lisent sur le visage des bambins pressés d'arriver à bon port. Une journée mémorable et le père de famille fatigué ne pense qu'au retour à la maison pour ne revenir que l'année prochaine. On arrive enfin, on boit de l'eau du frigo et on mange n'importe quoi et on se laisse tomber sur n'importe quoi pour s'endormir en rêvant aux vagues et les clapotis incessants. Les jeunes en groupe aussi partaient seuls à la mer. Ils ne connaissaient ni chaise longue ni parasol ou gomina: juste de quoi passer la journée. Des patates bouillies, des poivrons grillés, quelques tomates et si on a de la chance une bouteille de limonade. C'est toujours le même rituel, les vagues éternelles, la plage et ses joies ont changé de décor mais pas de plaisir. De nos jours, les enfants partent en voiture, jamais sans louer un emplacement: table, parasol et chaises longues, même le jet-ski sur le rivage d'une plage branchée. La tenue doit être de mise, lunettes de soleil, gomina, bronzage et beaucoup de frime pour épater. Une table bien garnie, des thermos, une glacière, un MP3 aux oreilles, des glaces et des menus bien choisis. Inutile de penser à enfouir une pastèque, ça relève de l'inimaginable de nos jours. La mer pourtant n'a pas changé de couleur que ce soit avec un bermuda à 2.000 dinars ou en maillot de bain en mousseline qui met deux heures pour sécher. Vivement les vacances quand même en tous temps et en tous lieux.