Toutes les fois que le ministère français des Affaires étrangères a été interrogé sur la situation juridique du diplomate algérien, Mohamed Ziane Hasseni, sa réponse était inchangée : la justice est indépendante du pouvoir politique. Le Quai d'Orsay, version Bernard Kouchner, sait de quoi il parle. Lorsqu'il est nommé à la tête de la diplomatie française, le french doctor entreprend de déminer un dossier. Entre la France et le Rwanda, les relations sont au point mort. En novembre 2006, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière avait émis neuf mandats d'arrêt contre des proches du président Paul Kagamé. Tous étaient soupçonnés d'implication dans l'attentat contre l'avion de l'ancien président, Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. L'équipage de l'avion était français. L'attentat déclenchera un génocide qui fera 800 000 morts parmi la minorité tutsie. Mme Kabuye est soupçonnée d'avoir hébergé le commando qui a commis l'attentat. En arrivant au Quai d'Orsay, M. Kouchner décide de prendre en charge ce dossier brûlant et de normaliser les relations avec Paul Kagamé, un des dictateurs les plus sanguinaire d'Afrique. Selon les révélations de Pierre Péan, le cabinet de M. Kouchner se met à la manœuvre. Des pressions sont exercées sur le juge pour bloquer le dossier. Les pressions n'aboutiront pas mais l'argument d'un pouvoir exécutif n'interférant pas dans la justice est battu en brèche. Face à la résistance du juge, M. Kouchner tente de trouver une parade. C'est lui-même qui en fait la révélation dans Le Nouvel Observateur. «Un groupe de travail composé de juristes a indiqué que si les Rwandais voulaient avoir accès au dossier, l'un des neuf inculpés au moins devait se rendre à la justice française. C'est ce que l'ancien directeur du protocole de Kagamé, Rose Kabuye, a fait.» Les propos sont bien de M. Kouchner, grand chevalier blanc volant au secours des faibles, concepteur du devoir d'ingérence des grandes nations dans les affaires des petites. L'arrestation de Mme Kabuye qui a déclenché des tensions politiques et des manifestations au Rwanda n'était donc qu'une comédie. Une mise en scène montée par le chef de la diplomatie française. Mme Kabuye a été arrêtée le 9 novembre 2008 à l'aéroport de Francfort où elle se rendait munie d'un passeport diplomatique et d'une lettre de mission de son gouvernement. Elle a été extradée en France le 19 novembre 2008 où elle a été entendue par le juge d'instruction qui l'a inculpée. Pendant tout ce temps, M. Kouchner s'est fait tout miel. «Elle est libre dans notre pays», répétait-il avec un large sourire. Quand on l'interrogeait sur un risque d'aggravation de la tension entre Paris et Kigali, il répondait «croire le contraire». Il savait bien de quoi il parlait. Même si les soupçons pesant sur Mme Kabuye sont autrement plus lourds que ceux sur le diplomate algérien, la responsable rwandaise a été soumise à un contrôle judiciaire moins sévère. Elle peut se déplacer dans toute la France alors que M. Hasseni ne peut pas quitter la région parisienne. Elle a aussi été autorisée à rentrer dans son pays pour y passer les fêtes de fin d'année. Une faveur qui n'a pas été accordée à M. Hasseni interpellé trois mois avant Mme Kabuye. Si les juges d'instruction ne courbent pas l'échine devant le pouvoir politique, qu'est-ce qui empêche M. Kouchner de nommer un «groupe de juristes» pour examiner la situation de M. Hasseni ? Ce sera au moins un signe politique.