Le 29 septembre, alors qu'Oran quémandait des rayons de soleil pour sécher ses ailes qu'une averse automnale avait alourdies, des coups de feu, au quartier de Gambetta, mettaient fin à un élan que rien ne semblait pouvoir arrêter. On a tiré sur Cheb Hasni, on l'a transporté dans un état désespéré à l'hôpital de la ville où il a succombé à ses blessures. La nouvelle est tombée, elle a fait le tour de tous les quartiers. Après Sbaâ Wahrane, les forces du mal se sont attaquées à un autre symbole. Elles ont voulu tuer l'espoir, l'amour que chantait Hasni. Cheb Hasni, de son vrai nom Hasni Chekroun est né le 1er février 1968 à Oran. Après une enfance dans un milieu modeste, il intègre le CEM Kabbati où il montra un goût prononcé pour l'école buissonnière. «Le marmot» n'avait rien d'un bûcheur. Ce qui le mettait dans tous ses états, c'était courir derrière un ballon de football ou donner libre cours à sa voix dans des concerts qu'il improvisait avec ses camarades de quartier ou à la plage des Genêts. Titillé par le démon du jeu à Onze, il intégra l'équipe des minimes de l'ASMO. Ceux qui l'avaient connu à cette époque retiennent de lui l'image d'un demi-offensif accrocheur, gagneur. Teigneux, diront certains. Il n'hésitait pas à écorcher le tibia d'un adversaire un peu véloce. A cette époque, il avait fait la connaissance de cheb Bela et cheb El Hendi qui faisaient les premiers pas dans la musique au sein d'une troupe de l'Unja. Hasni se ménagera une place grâce à ses capacités vocales, parmi ces deux «premiers» qui commençaient à se faire un nom sur la place d'Oran. C'est vrai qu'il était difficile de se frayer un chemin quand la scène est occupée par des ténors qui avaient pour nom, Bellemou, Bouteldja Belkacem, Khaled ou Zahouania. C'étaient les vedettes de la chanson raï qui commençait à casser le ghetto dans lequel elle était enfermée. De mariage en mariage et d'anniversaire en surboum, il finit par se faire connaître par un producteur de cassettes qui lui proposera des essais. Et c'est parti. C'est une carrière qui commence. Le jeune Hasni, qui jouait au muezzin pour appeler à la prière dans son quartier de Gambetta, troque son kamis immaculé contre stress et paillettes. C'est la gloire qui est au rendez-vous. On commence à s'arracher ses cassettes, on le sollicite pour animer des mariages, il fait une entrée triomphale dans les cabarets de la corniche. La Guinguette, le Casino, Beau Séjour, des haltes repères dans la vie de Hasni. La chanson rai sortait grandie en 1986 du festival national de la jeunesse. Khaled, Mami et Zahouania étaient les étoiles qui avaient illuminé le ciel de Riadh El Feth durant les chaudes nuits des mois de juillet. Hasni profitera de cette dynamique pour interpréter un duo avec la diva du raï, cheba Zahouania Baraka m'raneka, un lamento fait de mots crus qui écorchent les oreilles chastes. Sur un plan commercial, le producteur s'en mettra plein les poches, mais Hasni dira de cette cassette que c'est un bide et qu'il ne referait jamais le coup des mots décapants. Il revoit son lexique pour préparer un répertoire BCBG et s'inscrit désormais dans le style raï sentimental, des complaintes à l'eau de rose pour plaire à un public devenu nombreux. Les producteurs de cassettes, flairant le bon filon, lui feront mener un train d'enfer. Il enregistrait jusqu'à trois cassettes par jour pour des producteurs différents. Il était prolixe et voulait en donner plein les tympans à ses admirateurs. L'Algérie commençait à vivre les affres de la crise et du terrorisme qui commençait à semer la mort. Sbaâ Wahran, Abdelkader Alloula est assassiné au Ramadhan de l'année 1993, en pleine rue de Mostaganem. Le climat de peur qui s'installait pousse le jeune chanteur à partir en France où il s'installera le temps de contracter un mariage avec une jeune émigrée, Melouka, et d'avoir un enfant, Abdallah. Mais cette union ne durera pas longtemps et le couple finit par se séparer. Hasni, dépité, revient au pays pour retrouver ses fans, sa famille et ses amis de Gambetta. Il renoue avec l'ambiance des cabarets et des studios d'enregistrement. Mabqatch el hedda, El visa, Matebkich, Galou Hasni mate, des succès qui vaudront au chanteur plus de popularité. Ses produits s'arrachaient comme des petits pains au grand bonheur des producteurs. Puis il y eut le gala organisé au stade 5-Juillet, solidarité avec les enfants de Somalie. Le public présent veillera jusqu'au matin pour communier avec Hasni. Le stade se vide sur une note d'espoir. Mazale kayene l'espoir avaient fredonné les jeunes qui avaient rempli le temple du 5-Juillet, des jeunes qui avaient bravé le terrorisme pour s'éclater et se repaître de musique. Dans le livre, Confessions d'un émir du GIA, de B.Forestier un des auteurs de l'assassinat du chanteur révélera qu'«il avait signé son acte de mort en passant outre nos menaces et en embrassant une fille devant les caméras au 5-Juillet». Le 29 septembre 1994, à midi pile au quartier de Gambetta, Hasni, adossé à un poteau électrique, devisait joyeusement avec ses amis. Il guettait comme d'habitude le passage des filles du lycée Hamou-Boutlelis pour signer quelques autographes et taquiner quelques admiratrices. Au moment où il s'apprêtait à prendre une gorgée de café de la tasse qu'il tenait à la main, un jeune homme, le crâne rasé, bien habillé, emmitouflé dans une jacquette l'appelle. Croyant qu'il s'agissait d'un admirateur, il se détache de ses amis pour aller à sa rencontre, le jeune homme le prend par l'épaule et sans dire un mot, lui plaque le canon d'une «mahchoucha» sur le cou puis tire par deux fois avant de prendre la fuite. Hasni s'écroule. Son agresseur s'engouffre dans une Renault 12 qui l'attendait à quelques mètres du lieu du crime. Ils étaient trois dans le véhicule. Ils seront abattus quelques mois plus tard. Hasni succombera au cours de son transfert à l'hôpital. Au palais de la Culture d'Oran, le public réuni dans la salle pour assister à un gala organisé par l'association Echourouk piaffait d'impatience. L'animateur monte sur scène avec un air grave. Il prend le micro pour annoncer que la manifestation est annulée en raison de l'assassinat de cheb Hasni. Tout Oran envahit Gambetta. Le lendemain, son enterrement donnera lieu à des scènes d'hystérie. Des milliers de personnes, brandissant des pochettes de cassettes de Hasni, ont improvisé une manifestation pour dire «Mazale kayene l'espoir». Hasni est mort et sa famille continue de réclamer les droits d'auteur de ses oeuvres (102 cassettes). Elle continue de buter sur un mur d'incompréhension. C'est vrai qu'elle a obtenu un appartement à l'USTO, c'est vrai que son frère Houari a décroché un travail, mais elle souffre de voir l'image de son fils utilisée outrageusement. Des sachets en plastique, des casquettes, des tee-shirts frappés à l'effigie du défunt ont fait la fortune de certains vautours. Les producteurs de cassettes ont procédé à des rééditions tous azimuts de ses oeuvres. Une boîte de production audiovisuelle a donné le 1er coup de manivelle d'un film consacré à la vie et à l'oeuvre de Hasni, un film qui ne verra jamais le jour. Hasni, sept ans déjà à l'entrée du théâtre de Verdure une plaque commémorative de marbre, balayée par la pluie et les vents, rappelle le souvenir du fils de Gambetta qui avait refusé de se soumettre à la loi des sanguinaires. Il avait chanté l'amour, la jeunesse, l'espoir, la patrie. Porte-parole d'une jeunesse qui n'a pas abdiqué, il continue de lui donner courage et de lui susurrer à l'oreille, dans ses moments de faiblesse, Mazale kayene l'espoir, Ouahlach tagtaoû lyâs (Il y a encore de l'espoir, pourquoi sombrer dans l'abattement). Dors en paix Hasni.