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La légende vivante du Raï-lover
10e anniversaire de la disparition de Cheb Hasni
Publié dans El Watan le 29 - 09 - 2004

Il était le messager de l'amour (marsoul el houb) en paraphrasant Abdelwahab Doukali, il célébrait l'espoir et l'espérance, le roi du raï sentimental, l'enfant terrible de Gambetta, le quartier populaire et populeux d'Oran, « Tchato » (nez épaté, en espagnol) comme aimaient à le surnommer ses fans, l'auteur mythique de Tal ghiyabek ya gh'zali, Gaâ n'ssa, Baïda mon amour, Visa ou encore Arwahi netfahmou : Hasni Chekroune alias cheb Hasni.
Mais la folie meurtrière, la barbarie et l'ignominie humaine l'ont fauché, arraché et ravi à la vie à la fleur de l'âge, à 26 ans. Laissant du coup des millions et des millions de jeunes, orphelins, l'ayant adopté et porté dans leur cœur tant s'étaient-ils retrouvés, reconnus et énamourés par la flèche de Cupidon, à travers sa musique, car transférés et transportés. Hasni les faisait rêver. Aujourd'hui, c'est le 10e anniversaire de la disparition tragique et cruelle de cheb Hasni. C'était une certaine et cruelle journée du 29 septembre 1994, un jeudi. Cheb Hasni avait rendez-vous avec son destin, avec la mort.
Le baiser de Judas Iscariote
Il était environ 11h30, alors que Hasni se trouvait à quelques mètres du seuil de son domicile, dans son quartier natal Gambetta, le désormais appelé Haouch Hasni depuis sa mort, un individu s'approche de lui. Croyant qu'il avait affaire à un fan, Hasni se prêtera à la perfide sollicitation en abordant avec confiance celui qui sera son assassin. Celui-ci enlacera Hasni en lui posant amicalement le bras sur l'épaule tout en discutant avec lui. Et puis une détonation déchire le ciel. Hasni s'écroule. Il vient de recevoir une décharge d'une mahchoucha (canon scié) à bout portant, au cou. Il sera achevé par un second coup de feu à la tête. Houari, voyant son frère Hasni gisant dans une mare de sang, accourt en appelant à l'aide. Les tueurs prendront la fuite à bord d'un véhicule de marque R12 qu'ils abandonneront au quartier Bel Air. Boualem Disco Maghreb, l'éditeur oranais, se souviendra : « La veille, mercredi, nous nous sommes vus, vers 19h, pas loin de la station régionale de l'ENTV, et il m'avait invité à l'accompagner pour le mariage d'une amie commune, jeune policière à l'aéroport d'Oran, à Bel Air où ses assassins avaient laissé la voiture de leur abject crime, le lendemain... » Hasni sera évacué vers le CHU d'Oran où il succombera à ses blessures.
L'idole des jeunes
La terrible nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Et comme dit l'un de ses amis : « Ce jour-là, non seulement Oran paraissait exiguë mais aussi l'Algérie tout entière. Une grosse perte !... » Ils étaient des centaines et des centaines à se rendre à l'hôpital pour s'enquérir de l'état de santé de l'idole des jeunes. Tout un pays est endeuillé. Le raï a été mutilé. Et la musique algérienne est en berne. Hasni est le premier martyr de la chanson grossissant la liste génocidaire, macabre et rouge sang des chasseurs de lumières comme dirait Idir. Rachid Baba Ahmed, le producteur et arrangeur, cheb Aziz, la chanteuse Lila Amara et son mari Bachir, Matoub Lounès (qui était kidnappé par le GIA quand Hasni a été assassiné) ainsi que d'autres auparavant. Comme le grand écrivain Tahar Djaout, l'émérite dramaturge Abdelkader Alloula, le comédien Azzedine Medjoubi, le journaliste Saïd Mekbel... Une interminable litanie assourdissante de douleur ! L'intolérance inepte et mortifère avait décidé d'ôter la vie à Hasni parce qu'il était coupable d'innocence. Il a été assassiné parce qu'il représentait l'expression juvénile algérienne, un idéal candide faisant rêver des légions de jeunes épris éperdument des choses de la vie, des écarts existentialistes et de l'amour aussi et surtout des filles. Il savait parler aux jeunes.
Enfant de la balle
Loin de tout calcul ou autre considération politico-politicienne. Le raï de cheb Hasni est apolitique. Vraiment à l'eau de rose mais mâtiné de temps à autre de fulgurances protestataires d'une jeunesse désabusée par l'establishment, la malvie et un futur obstrué. Hasni Chekroune est né le 1er février 1968 à Gambetta, à Oran. Il est issu d'une modeste famille dont le père était soudeur ayant quitté le foyer, alors qu'il était très jeune, et d'une mère subvenant difficilement aux besoins de tous les membres des Chekroune en exerçant le métier de femme de ménage. Dans sa prime enfance au lieu de fréquenter l'école, il se rendra à celle buissonnière au CEM Bachir Kebbatti. Il arrêtera son cursus scolaire en 4e AM. Doué pour le chant choral et le football, le jeune Hasni s'essayera à la balle ronde au sein du club de seconde division l'ASCO. Il y fera montre d'un talent avéré en tant que technicien du cuir. La preuve ! Plus tard, parmi ses amis intimes, il comptera le célèbre n°10 algérien Lakhdar Belloumi avec lequel il partageait une passion dévorante du foot. Ils évoluèrent ensemble dans une équipe du MPO, à titre amical, et ce, plusieurs fois en salle. Entre le foot et sa marotte du raï, Hasni avait vite fait son choix. Son cœur chavirait et tanguait aux rythmes d'Ahmed Wahby, de cheb Khaled, de cheb Sahraoui ou encore de Houari Benchenet qu'il reprendra, alors âgé de 16 ans, dans les fêtes et autres mariages, en catimini, à l'insu de sa famille. Deux ans plus tard, Hasni fera ses premières armes dans les cabarets et casinos, lieux de l'underground du raï et milieu ambiant de la corniche oranaise. Son baptême du feu se fera au Biaritz, puis à la Guinguette, au Casino ou encore à Beau Séjour. A star is born ! Le bouche à oreille aidant, la bonne étoile de Hasni ne cesse de monter.
Il casse la baraka...
Remarqué par un producteur d'une maison de disques oranaise, il signera son succès d'estime, à 19 ans, en formant un duo de chic et de choc, à la manière de Fadéla et Sahraoui, avec une raïwoman à la voix très « rock » (rauque), cheba Zehouania, de huit ans son aîné. Baraka M'ranika, une chanson paillarde, jugée licencieuse et shocking par le prosélytisme extrémiste naissant, fut un tube de l'été 1987. Mais après une série de flops, Hasni, ambitieux, se décalera du raï viril, machiste et de l'amour vache, de ses pères spirituels et ses pairs, les Khaled, Mami, Sahraoui, Hamid, Hindi, Zahouani... Il innovera en adoucissant les mœurs musicales du raï. Il créera son propre style. Un raï romantique, mélodique, langoureux et sentimental porté par une voix plaintive, émouvante, pathétique et déchirante. Avec cette beauté de la tristesse qui fera sa marque de fabrique. « Pour percer, il fallait trouver un moyen, afin de s'imposer sur la scène artistique. Les grands monopolisaient tout le marché. Seul le style sentimental comme nouveau genre pouvait m'assurer le succès. C'est pour cela que j'ai opté pour ce style », indiquera-t-il dans une interview à El Moudjahid-Ouest en octobre 1992. Un raï-lamento entraînant auquel il insufflera une seconde jeunesse et un bain de jouvance sur des textes et des paroles propres et soft. Avec Hasni, le raï pénétrait enfin dans les chaumières par opposition à celui hard à la terminologie gênante.
Concerto pour lamento
Ne volant guère son titre de crooner et affublé de Julio Iglesias du raï, Hasni explosera avec Gaâ N'ssa, Baïda mon amour, Visa, Consulat, Aâlach Ya Aynia, Nehlef Jamais de la vie et bien sûr son lancinant, prémonitoire et testamentaire hymne national de l'espoir Tal Ghiabek Ya Gh'zali. Un pécieux legs qui demeure toujours en vogue et très prisé par la jeunesse. C'est dire que Hasni était un artiste « leader » à sa manière. Il touchera aussi plus d'un en interprétant des titres autobiographiques portant sur son divorce, la séparation de son fils Abdellah et son déchirement familial : Mouhal n'sbor aâla oualdi, Men fraqha makaditche ou encore Saraha raha. Ses compositions raï mêlaient aussi bien des emprunts allant de la variété française (Michelle Torr ou Comme d'habitude avec Samaât Enass) au rythme baladi et égyptien de George Wassouf, Abdelhalim Hafez ou Farid El Attrache (Aâlache ya aynia, Aâlache ya bent enass, Omri Omri...) en passant par de belles reprises de Houari Benchenet, comme Djebel Wahrane, Rabta el hana et surtout l'excellent Chira li nabghiha. Hasni chantera aussi du wahrani pur jus tel que Djar alia el hem du poète Abdelkader El Khaldi. Hasni aura été un artiste qui, malgré les oripeaux des cieux plus cléments, n'a pas voulu quitter son pays.
Gambetta, mon amour !
Pourtant, il avait chanté Eli fiha fiha encourageant les jeunes à être candidats à l'exil. « Ma mère, Gambetta et voir mes amis, c'est l'Amérique pour moi... », rétorquait-il à ses proches l'encourageant à partir outre-mer pour fuir le terrorisme. Curieusement et contrairement à ce qu'on croit, le plus grand vendeur de K7 et CD raï, depuis... 10 ans, reste l'indétrônable et l'indémodable Hasni. Il n'y a pas un jour qui passe où l'on ne sort pas une K7 de Hasni. Mais dans tout cela, sa mère ou bien les ayants droit ne touchent pas un copek sur les droit d'auteur. Son catalogue appartient à tout le monde et à personne. Voilà le drame de Hasni qu'on pleure ! La relève perpétuant le raï-love est assurée par des templiers comme Nani, Houari Dauphin, cheb Réda, cheb Hassan, cheb Akil, Hasni Junior, cheb Amrou ou encore chez des filles comme Djenet ou Dalila. Chaque jour, au cimetière où il repose, sa tombe est soit fleurie ou arrosée. Empreintes fidèles de sa famille et de ses fans. Il est entré dans le panthéon des artistes prématurément morts comme Otis Redding, Jim Morrison, Abdelhalim Hafez, Peter Tosh, Marvin Gaye, Jeff Buckley... Sur son épitaphe éternelle, les paroles de sa chanson Galou Hasni mat, deux ans avant sa disparition où des rumeurs le donnaient pour mort : « Vous m'avez tué, alors que je suis vivant ! » La légende continue !


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