Cinq porte-avions, 150.000 soldats déployés, l'armada américaine est prête à marcher sur Bagdad. Les Etats-Unis agissent comme si la guerre, annoncée, était aujourd'hui un fait acquis, et que son déclenchement ne serait plus qu'une question de réglage technique n'allant pas au-delà de quelques semaines, voire de quelques jours, balayant ainsi toutes les oppositions et mises en garde qui se sont manifestées contre une option qui ne prend pas en compte les retombées immédiates de l'après-guerre. Tournant en ridicule l'opposition affichée par la France et l'Allemagne, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, agite à la face de ses opposants, «la plus grande coalition que le monde ait connue», formée, selon lui, «de 90 nations». Si le fait de l'existence de cette coalition peut-être concédé au secrétaire américain à la Défense, M.Rumsfeld ne s'appesantit point, en revanche, sur les conditions (peu protocolaires, cela va de soi, avec pressions de toutes sortes, menaces, contraignant, de gré ou de force, les coalisés à prendre le train en marche) ayant amené ces nations à suivre les Etats-Unis dans une guerre qui n'était pas, et n'est toujours pas, la leur. De fait, comme le souligne Donald Rumsfeld lui-même, il s'agissait surtout de faire nombre et de faire croire que c'est le monde entier qui était ligué contre l'Irak. Les «coalisés» n'avaient aucune obligation autre que celle de dire oui à l'engagement militaire américain contre l'Irak, l'Empire - comme les analystes se plaisent à désigner les Etats-Unis - se chargeant du reste. Ainsi M.Rumsfeld affirme: «La force de notre coalition est que nous ne nous attendons pas à ce que chaque membre participe à toutes les actions.» C'est joliment dit, l'Oncle Sam, qui pourvoit à tous les engagements de guerre, attend de ses coalisés d'être présents et de s'aligner. Question: l'Irak est-il l'égal de l'hyper-puissance mondiale pour nécessiter la coalition de la moitié des nations du monde? Par ailleurs, l'objectif prioritaire de Washington, éliminer et changer le régime baasiste de Bagdad, est-il conforme autant au mandat de la résolution 1441 -qui stipule le désarmement de l'Irak, pas le changement de son régime- qu'à la pratique du droit international? Ces nations qui, sans doute à leur corps défendant, soutiennent les Etats-Unis dans leur aventure guerrière, sont-elles as-surées que de-main, elles se-ront exemptes de tout reproche de la part d'un Empire qui dit clairement sa propension à diriger et à gérer désormais le monde dans le seul objectif des «intérêts et valeurs américains»? C'est en tout état de cause ce que laisse entendre le secrétaire d'Etat américain. S'exprimant, jeudi devant le Congrès, Colin Powell n'a pas caché le fait qu'«un succès militaire aiderait à remodeler fondamentalement la région moyen-orientale dans l'intérêt des Etats-Unis». Pour cela, il faut que le régime de Saddam Hussein tombe! Où est l'intérêt de la communauté internationale dans une telle guerre pensée et suscitée par les seuls décideurs américains, pour des intérêts américains? Dans ce contexte, la mise en garde, samedi, du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, ne vient-elle pas un peu en retard et à contre-courant lorsqu'il affirmait, dans un discours au William and Mary Collège (Virginie) que «toute décision de désarmer l'Irak par la guerre» est une question «qui doit être considérée, non par un Etat seul, mais par la communauté internationale». M.Annan parle ainsi en légaliste tout en sachant (parfaitement?) que son discours, à la limite académique, ne tient pas la route face aux énormes moyens diplomatiques (et autres) déployés ces derniers mois par Washington pour avoir gain de cause. D'ailleurs, les seuls Etats qui ont eu le courage de s'opposer au diktat américain, en défendant une certaine idée de la légalité internationale, la France et l'Allemagne, notamment, se sont vu traiter de tous les noms par les principaux tenants américains de la guerre contre l'Irak. Autant dire que les dés étaient pipés par la volonté guerrière américaine, les Nations unies étant amenées à jouer, tout faux, un rôle qui n'était pas le leur, en consentant à se défaire de leurs prérogatives au profit d'un tiers. Car, il y a le précédent de 1991, où c'est George Bush père, qui décida souverainement de faire la guerre à l'Irak. Aujourd'hui, il ne fait pas de doute que George Bush fils, n'attend que le moment propice pour donner le top...