«Nous querellons les miséreux pour mieux nous dispenser de les plaindre» Vauvenargues Une histoire rocambolesque vient de connaître son épilogue et a mis aux prises la Libye de Kadhafi et l'Occident. L'histoire est la suivante: entre 1997 et 1998, quatre cents enfants et adolescents âgés de six mois à dix-huit ans, ont été contaminés à l'hôpital pédiatrique de Benghazi par le virus du sida alors qu'ils ne présentaient aucun facteur de risque. Cinquante-six sont décédés depuis. En février 1999, sous la pression des familles des victimes, les autorités libyennes arrêtent de nombreuses personnes de sept nationalités différentes travaillant à l'hôpital. La plupart seront ultérieurement libérées. En 2001, alors qu'il évoque pour la première fois l'affaire, le colonel El Gueddafi n'exclut pas l'hypothèse d'un complot des services de renseignements américains ou israéliens qu'il soupçonne d'avoir mené des expériences avec le virus. Cette thèse est, aujourd'hui, abandonnée. Traduites en 2002 devant une Haute cour de justice sous l'accusation de «complot», les accusées sont acquittées mais renvoyées devant un tribunal ordinaire. C'est ce dernier qui les a condamnés, à mort le 6 mai 2004. Elles doivent également verser près d'un million de dollars d'indemnisation aux victimes. Sur le plan médical, les professeurs Luc Montagnier et Vittorio Colizzi ont témoigné pour indiquer que «cette tragédie est probablement due à des négligences [qui] ont commencé avant que ceux qui sont accusés commencent à travailler dans cet hôpital». La Commission européenne s'est dite «préoccupée et profondément déçue» par cette condamnation. Des experts scientifiques de renom, tel le Professeur Luc Montagnier, découvreur du virus du sida, qui a témoigné devant le tribunal libyen, ont exclu la possibilité de contamination délibérée, compte tenu des circonstances de fait: certains enfants ont été contaminés avant même que les accusés commencent à exercer dans l'hôpital. Un grand nombre d'enfants n'ont jamais été soignés au sein des services dans lesquels les accusés ont travaillé. Les accusés sont les boucs émissaires du manque d'hygiène dans l'hôpital et du manque de produits de première nécessité, conséquences des défaillances du système hospitalier libyen. Le 2 novembre 2006. 114 lauréats du prix Nobel ont écrit une lettre ouverte au colonel Mouammar El Gueddafi, publiée dans le magazine scientifique international Nature. Le 6 décembre 2006. D' après une expertise publiée dans la revue scientifique britannique Nature réalisée sur l'analyse d'échantillons prélevés sur 44 enfants infectés, il a pu être déterminé que les infections avaient commencé au sein de l'hôpital bien avant l'arrivée des infirmières et du médecin en mars 1998. Ces infections sont dues à un virus unique courant en Afrique occidentale. Or, la Libye abrite de nombreux ressortissants originaires de cette région de l'Afrique, notent les scientifiques. Les fondements possibles de ces accusations Tout commence avec l'accusation des Américains et des Français de l'explosion de deux avions au-dessus de Lockerbie en Ecosse et dans le désert du Ténéré. Les enquêtes diligentées par les Etats-Unis et la France ont abouti à la certitude que les services secrets libyens étaient les commanditaires. La Libye fut mise au banc de la communauté internationale, comprenons par là occidentale. Elle devient un «rogue state», «un Etat voyou» dans la terminologie américaine au même titre que l'Irak de Saddam, la Corée du Nord et l'Iran. La situation dura quelques années jusqu'à la reddition totale en «rase compagne. La Libye démantèle son «programme nucléaire», reconnaît sa responsabilité dans les affaires des explosions et sacrifie deux de ses agents qui furent jugés par la Cour internationale à La Haye. Le vendredi 15 août 2005, la Libye reconnaissait sa responsabilité dans les attentats de Lockerbie (Ecosse). Pourtant l'hebdomadaire britannique The Observer, dans son numéro du 17 juin 2007, se penche sur un rebondissement sur l'attentat de Lockerbie. Les experts appelés à la barre viennent seulement d'admettre que le circuit imprimé présenté comme pièce à conviction, n'avait pas fait l'objet d'expertises réglementaires prouvant qu'il avait bien servi au système de détonation de la bombe. Or, le témoignage d'un officier de police écossais retraité, selon le New Scotsman, accusait la CIA d'avoir introduit cette fausse pièce à conviction dans le dossier pour incriminer la Lybie...Il en sera de même avec l'attentat contre le DC-10 de la compagnie UTA sur la ligne Brazzaville-Paris, le 19 septembre 1989, dans le désert du Ténéré, au Niger. Le bilan fut de 170 morts, dont 54 Français.(1) Le président El Gueddafi a convenu d'indemniser les familles des victimes de ces attentats. Elles attendaient, depuis de longues années, que la Libye reconnaisse sa responsabilité. La fondation caritative El Gueddafi dirigée par Seif Al Islam, le fils du président libyen, est à la base des négociations avec les familles des victimes. Seif Al Islam assure que «la négociation s'est faite avec les familles des victimes ´´et qu'il s'agissait´´ d'une formule d'entente satisfaisante pour toutes les parties.» De son côté, le Colonel El Gueddafi tente de minimiser cette tension diplomatique: «Les affaires d'UTA et de Lockerbie sont derrière nous, dit-il, nous avons entamé, à présent, une nouvelle page dans nos relations avec l'Occident.» L'indemnisation pour les attentats de Lockerbie, a été estimée par la Lybie à 2,7 milliards de dollars. Soit une somme de 10 millions de dollars par famille. Tandis que les familles des victimes du DC10 ne seront indemnisées que de 33.780 dollars. Un montant qui ne satisfait pas la France qui menace de bloquer le vote du Conseil de sécurité sur le projet d'une résolution sur la levée des sanctions par l'ONU imposées à la Libye en 1992 et suspendue en 1999. La France exige la révision du montant du préjudice des attentats qui ne lui semble pas équitable. Elle aura gain de cause. Quelques mois plus tard, démarrait le feuilleton tragique des enfants malades du sida. Le même scénario visant à «faire payer l'Occident» est alors déroulé à propos des infirmières bulgares et du médecin palestinien. En février 2006, une réunion du Fonds international Benghazi de solidarité et de l'Association des parents des enfants libyens contaminés par le virus de Sida. Il a été decidé que chaque patient puisse avoir le droit d'être examiné et soigné dans cinq hopitaux en Europe: à Rome et à Florence en Italie et trois à Paris. Le dossier s'accélère en 2007- date d'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne. La machine de guerre se met en marche. Le 6 mai 2007. Lors de son discours juste après avoir été élu président de la République (salle Gaveau), Nicolas Sarkozy a évoqué à nouveau le sort des infirmières, en se trompant et en les nommant «infirmières libyennes», Les 10 et 11 juin 2007. Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne aux Relations extérieures et le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, sont en Libye pour tenter de trouver une issue à l'affaire. Le 11 juillet 2007, le verdict de condamnation à mort a été confirmé par la Cour suprême de Libye. Le mercredi 11 juillet a été une nouvelle journée noire pour les infirmières et pour Achraf Hajouj, le médecin palestinien, qui a récemment acquis la nationalité bulgare. Un consensus a été trouvé sur le traitement des enfants infectés, qui pourront bénéficier de soins médicaux en Libye comme à l'étranger. «Nous ne demandons pas de l'aide, mais une compensation pour la tragédie subie», a-t-il dit. Un tel accord signifie que les familles renoncent à réclamer la mort des infirmières. Sur la base d'un tel document, le Conseil supérieur des instances judiciaires peut annuler, modifier ou confirmer la peine de mort à l'encontre des accusés. Les décisions seront prises à partir de la semaine prochaine. Si les diplomates espèrent qu'une seule séance du Conseil suffira, d'autres craignent que les discussions ne se poursuivent des mois, voire des années(2). Pour Svetoslav Tersiev, la peine de mort a été prononcée en 2004 à Benghazi, alors que la Bulgarie ne faisait pas encore partie de l'UE. En 2007, la peine de mort a été confirmée à Tripoli, mais cette fois la Bulgarie est membre de l'UE. (...) Le fait que la diplomatie silencieuse n'ait pu aboutir à rien d'autre qu'à un consensus, est un aveu d'impuissance. Pour le quotidien (Autriche), pour Astrid Frefel, «même si les exécutions n'ont pas lieu, le scandale du VIH de Benghazi nous en apprend beaucoup sur le despote libyen. El Gueddafi a transformé six ressortissants étrangers en otages politiques. Ils ont été torturés et craignent en permanence pour leur vie. Il a abusé du système judiciaire pour cacher les insuffisances des hôpitaux de son pays. Il joue un jeu dangereux avec les Libyens en minimisant les dangers du VIH. Même sans armes de destruction massive, le colonel de Tripoli reste un dictateur et son peuple en subit les conséquences tous les jours.» Je laisse le lecteur déguster ce morceau d'anthologie, il s'agit en l'occurrence de la colère de monsieur Tahar Ben Jelloun qui voue aux gémonies une tradition ancrée depuis la nuit des temps dans l'imaginaire méditerranéen des montagnes de l'Atlas marocain jusqu'au fin fond de la Turquie, et qui veut que la dette du sang soit rachetée pour éviter des vendettas ad vitam eternam. Ce n'est pas une lubie de la Libye. L'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun appelle l'Europe à «sauver les otages en Libye». «La Libye voudrait appliquer à l'Europe sa manière étrange, datant d'un autre temps, de considérer la justice. (...) Nous sommes donc, dans la logique de la tradition de ce pays qu'on appelle ‘la dette du sang». Cette tradition consiste à racheter son crime. (...) L'Europe ne devrait pas entrer dans cette logique archaïque et contraire à la justice et au droit. Seule une cour de justice indépendante et rationnelle est en droit de juger de la culpabilité ou de l'innocence de ces accusés. (...) Il faut que l'Europe refuse ces histoires de dette du sang; si elle négocie avec la ‘justice' libyenne, alors pourquoi se scandaliser quand elle négocie et refuse de l'admettre avec des terroristes preneurs d'otages en Irak, au Liban ou en Afghanistan?. Qu'un Européen s'émeuve il est dans son rôle, mais qu'un Maghrébin même avec un verni européen s'indigne sans se représenter la situation dans sa globalité, dénote, de notre point de vue, d'un manque de discernement auquel ne nous avait pas habitués cet écrivain connu et reconnu. Pour le journal estonien, l'affaire des infirmières bulgares révèle la mascarade de justice libyenne. «Le marchandage autour de l'argent et les expertises scientifiques qui prouvent l'innocence des accusés, nuisent sérieusement à la crédibilité du tribunal libyen. En sa qualité de petit pays, la Bulgarie a du mal à faire entendre sa voix, mais sa position s'est clairement renforcée depuis son adhésion à l'UE en janvier 2007. Auparavant, on ne pouvait entendre que de timides témoignages de solidarité, mais aujourd'hui, c'est la crédibilité de l'ensemble de l'UE qui est en jeu. Cet aveu de la superpuissance européenne est d'ailleurs illustré par le discours d'investiture de Nicolas Sarkozy qui n'eut aucun mot de compassion pour les épaves palestiniennes et les dizaines de morts irakiens au quotidien, mais parle des...infirmières libyennes...qu'il défendra. Il le fera en faisant cavalier seul. Dernier acte de cette tragi-comédie dont chacun connaissait l'aboutissement car il est inconcevable de croire que le «guide libyen» ait pu penser un seul instant à passer à la mise à mort. Les six infirmières et le médecin condamnés à mort ont déposé une «demande de clémence». La demande a été signée samedi 14 juillet par les six praticiens en présence d'ambassadeurs de pays européens accrédités à Tripoli. Les familles des enfants libyens contaminés par le sida ont affirmé, le même jour, qu'ils avaient accepté des compensations de l'ordre d'un million de dollars par victime. «Toutes les familles ont reçu les indemnités. Elles signent maintenant des documents affirmant qu'elles les ont reçues et qu'elles acceptent que le Haut conseil judiciaire prenne la décision qu'il jugera appropriée quant aux six personnes», avait déclaré à Reuters Idriss Lagha. Ce règlement financier avait conduit nombre d'observateurs en Libye et à l'étranger à penser que les infirmières et le médecin pourraient être libérés.(3) Une honte de plus Epilogue d'un drame qui ne ramènera pas à la vie les enfants morts et qui ne sauvera pas les autres enfants condamnés. Qui s'en soucie? Surement pas le monde occidental qui a très mal vécu ce crime de lèse-majesté de la part d'un dirigeant erratique et imprévisible qui a installé la société libyenne dans les temps morts, le temps de son règne. A bien des égards, ces rodomontades- la condamnation sans preuve avérée et surtout sans motif crédible - des infirmières et du médecin - est une honte de plus à mettre au débit des Arabes. Le fait de vouloir, par des artifices, qui relèvent du roman feuilleton, instrumentaliser les douleurs des parents des enfants à qui on a demandé de demander «addya» «le prix du sang», pour des manoeuvres visant à paraître comme intraitables en multipliant les différents niveaux décisionnels pour, en définitive, lier la décision de communion de peine au versement de ce que les Occidentaux appellent une rançon pour libération d'otages est à bien des égards humiliant. Quant au rôle ambigu joué par la fondation de Seif el Islam, on connaît la façon brillante avec laquelle elle a bien voulu -sanction oblige- d'une façon ou d'une autre, par fondation interposée débourser plus de 4 milliards de dollars. Les parents des victimes n'ayant reçu du nouveau fonds mis en place entre la Communauté européenne et la fondation de Seif el Islam que 4 millions de dollars. Soit à peine 10% Toute cette tragédie des enfants pour une mascarade de revanche qui ne restera pas impunie. Il est fort à parier que l'Europe et l'Occident n'oublieront pas. Une fois de plus, ce seront les peuples qui vont souffrir. Tant que l'Occident n'aura pas fait son aggiornamento, quant à ses rapports avec l'Islam, nous serons toujours dans une situation conflictuelle d'ailleurs bien décrite par Richards. Ecoutons-le: ...Il faut réécrire l'histoire de l'Europe pour corriger le rôle donné aux musulmans. «La violence est l'aspect qui domine l'histoire des relations occidentales avec l'islam. On répète régulièrement que les armées musulmanes ont envahi une grande partie du territoire français en 732 avant d'être héroïquement arrêtées par Charles Martel à Tours et qu'une autre armée musulmane a assiégé Vienne en 1529, avant d'être chassée par le mauvais temps et des défenseurs héroïques. (...) A partir de ce genre d'épisodes, les idéologues d'aujourd'hui concoctent des mythes de l'hostilité sans fin et sans pitié entre l'Islam et l'Occident. (...) L'Europe doit se saisir de son passé. Cela pourrait être fait par un comité transnational chargé de revoir tous les aspects de l'Histoire des musulmans, et aussi, de l'Europe.»(4). C'est peut-être là encore une utopie, nous y croyons. 1.http://www.saphirnews.com/Khadafi-s-achete-une-nouvelle-image_a510.html 2.Evguénia Martcheva: Une lueur d'espoir pour les infirmières bulgares. Radio Darik Standart. 12 juil. 2007 3.Les peines des infirmières bulgares commuées en réclusion à vie. Reuters mardi 17 juillet 2007 4.:A case of selective memory: July 11, 2007.