Plusieurs reconnaissent qu'ils ne pardonneront jamais à Saddam Hussein les crimes perpétrés à Halabja. Les Kurdes, objets de toutes les sollicitudes, semblent subir la guerre. Coincée entre une Turquie aux visées hégémoniques viscérales, un Irak bourreau, une Syrie passive et un Iran chiite qui attend une occasion pour annexer tout le Kurdistan, la communauté kurde se retrouve aujourd'hui face à son destin. Les coalisés ont lancé leur offensive sans un regard pour cette population qui vit dans un territoire coincé entre le 36e parallèle Nord et la frontière turque. Les Kurdes, dont environ 2000 vivent en Algérie, viennent, pour la plupart, d'Irak et de Syrie. Vendredi, 21 mars, nous les avons rencontrés dans un restaurant de Canastel (Oran) où ils fêtaient le Naourouz, le nouvel an kurde. Invités à donner leur avis sur la guerre qui venait d'éclater en Irak, ils ont été unanimes à dénoncer ce qu'ils ont qualifié d'agression contre l'Irak. «Nous dénonçons avec véhémence l'intervention des Américains. Nous appelons nos frères arabes et musulmans à s'unir pour faire échouer le plan diabolique des Américains qui veulent asservir le monde», dira un Kurde qui vit à Chlef où il a épousé une Algérienne. Plusieurs reconnaissent qu'ils en pardonneront jamais à Saddam Hussein les crimes perpétrés à Halabja (district de Souleymania ) et dans le Kurdistan irakien, mais, pour eux, il ne faudrait pas faire l'amalgame entre le peuple et le régime du parti Baâth. «Nous avons toujours vécu pacifiquement avec les peuples d'Irak, de Syrie, de Turquie et d'Iran et nous n'avons jamais ressenti l'exclusion ou le rejet», dira un jeune Kurde syrien qui vit actuellement à Tiaret où il travaille comme puisatier. Bon nombre de ces Kurdes estiment que leur peuple ne récoltera que malheurs de ce conflit. «Les Américains sont prêts à négocier leurs intérêts avec la Turquie à notre détriment. Ce qui les intéresse c'est le pétrole de Kirkouk et Souleymania qui sont des districts situés dans le Kurdistan irakien. Les motivations des Américains sont d'ordre purement matériel et il serait naïf de croire qu'ils veulent débarrasser le peuple irakien et la région d'un danger appelé Saddam», diront des Kurdes de Syrie. Plusieurs évoquent la possibilité de voir l'avenir de la région s'assombrir. Pour eux la Turquie pourrait lancer une guerre préventive dans le nord de l'Irak pour assurer la neutralisation des troupes du PKK de Abdallah Ocalan actuellement condamné à la peine capitale et détenu dans une prison turque. Cette hypothèse plongerait la région dans une zone de turbulences qui pourrait s'étendre jusqu'à l'Irak, la Syrie, l'Iran et la Turquie. Il existe environ 40 millions de Kurdes qui vivent dans le monde. Bien implantés en Turquie (20 millions) ils sont aussi présents en Irak (environ 4,5 millions), en Iran (7 millions), en Syrie (2,5 millions) en plus d'une forte communauté installée en Allemagne et en France. C'est un peuple qui a vécu son histoire dans le sang et la répression. Ses origines remontent à l'an 612 avant Jésus-Christ quand son guide, Kaoua Hadad a tué le roi perse Azdahak qui avait contraint les Kurdes à fuir leurs territoires. Depuis, ce peuple fête le Naourouz (le jour nouveau) qui coïncide avec le premier jour du printemps. Vendredi, les Kurdes avait célébré l'avènement de l'an 2615 dans la peur de lendemains incertains. En 1514, l'empire ottoman et les Perses se sont partagé le Kurdistan en deux entités qu'ils avaient annexées. Cinq siècles plus tard (1916), aux termes des accords Sykes-Picot qui avaient démembré l'Homme malade (l'empire ottoman), le Kurdistan a été partagé entre l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Turquie. C'est un peuple qui a toujours vécu dans la douleur. Actuellement plus de 150.000 Kurdes sont privés de la nationalité syrienne, alors qu'ailleurs ils n'ont pas droit aux études supérieures ou à des postes de responsabilité. Leur voeu, aujourd'hui, est de ne pas faire les frais d'un arrangement entre l'envahisseur américain et leurs oppresseurs. C'est pourquoi, ils saluent la position tranchée de Massoud Barazani, le leader du Parti démocratique du Kurdistan, qui n'a pas voulu être ni une tête de pont pour les troupes turques ni un élément dans la force de frappe des Américains.