C'est dans une ambiance conviviale et très chaleureuse que s'est déroulé, le 6 mars 2003, l'hommage à Mamad Benchaouch, maître de musique andalouse. De très nombreuses familles ont tenu à faire le déplacement à la salle Nardjess, dans le somptueux palais du peuple. C'est dans la vieille cité d'Alger La Casbah qu'est né le petit Mamad Benchaouch, un 3 février de l'année 1930. Issu d'une vieille famille algéroise pieuse, il rejoint Le Koutab dès sa plus jeune enfance, dans cette école traditionnelle de la mosquée des Hamaïmi (à El-Hamma ex-Belcourt), il apprend le Coran et la langue arabe chez le cheikh Mohamed El-Hamaïmi, un descendant du fondateur de cette mosquée. En 1937, son père décide de déménager de La Casbah pour s'installer à Belcourt où, un peu plus tard, Mamad rejoint l'école française Les Oliviers et ce, jusqu'au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, date de fermeture de cette école. C'est alors qu'en 1943, il quitte définitivement l'école après l'arrivée des alliés (Américains) et se met à travailler, Mamad n'a que 13 ans! Ainsi, il s'engage comme apprenti ébéniste dans l'atelier de M.Durand...mais cet apprentissage ne va pas durer, puisqu'une année plus tard, soit le 4 septembre 1944, il quitte ce métier pour intégrer la société des Tramways algérois (TA), une société de transport bien connue (qui s'appellera RSTA après l'indépendance) et qu'il ne quittera qu'à sa retraite au début de l'année 1990. Très jeune, il fait connaissance de la musique, il est vite influencé par les maîtres de l'époque qui animaient régulièrement les fêtes familiales mais aussi âarass el kaâda(*) où différents genres musicaux s'y mêlaient tels que la musique andalouse et ses dérivés comme le hawzi, le âroubi, le melhoun, le chaâbi passant par la zorna et la ghaïta et bendir des Biskris de Belcourt, aussi dans son quartier, bon nombre de talentueux musiciens et chanteurs y résidaient, tels El-Hachemi Guerrouabi, Farid Oujdi, Abdelghani Belkaïd, Ali Maloufi etc...mais cela ne justifie pas tout l'intérêt et l'amour qu'il porte à la musique. En effet, son père, Si Mohamed était un fin connaisseur du répertoire sacré de la musique andalouse conservé jadis à Alger, sa remarquable maîtrise de ces quaçaïds (poèmes panégyriques à caractère religieux)** lui vaut le surnom de Si Mohamed el-quaçaïdi, chose qui avait prédisposé son fils à s'intéresser à cet art noble tant prisé par les Algérois. Il se met alors au tar (tambourin) certes, un instrument à percussion des plus simples mais dont il en deviendra quelques années plus tard un brillant interprète. Mais son véritable apprentissage musicale débute en juin 1945, lorsque Saïd Bastandji lui propose avec son ami Maloufi de le rejoindre à l'association El Hayet qui regroupait quelques personnalités de la çan'â comme Mohamed Kachkoul et Abderrahmane Belhocine; son passage dans cette association fut très bref de même que la vie de cette association, néanmoins, il aura là pour premier maître le grand cheikh Mahieddine Lakhal. En 1946, il intègre la célèbre association El-Djazaïria, et c'est là qu'il fera connaissance des deux grands monuments de la musique andalouse algéroise çana'â les maîtres Mohamed et son frère Abderrazak Fakhardji, toutefois il débute pendant deux années dans la classe d'initiation d'Abdelkrim Mehamssadji et rejoint pour une année celle de Hadj Omar Benssemane, tout en assistant aux cours de Mohamed Fakhardji. Ce dernier, surpris par son assiduité décide, après une brève audition, de les faire intégrer sa classe...Ce qui fut le début d'une formidable carrière, une carrière des plus envieuses! Le jeune Mamad ne s'arrêtera pas là, sa soif pour l'apprentissage et la maîtrise de la musique andalouse le conduit à s'inscrire dès 1947 au conservatoire d'Alger dans les classes du maître de l'époque Mohamed Fakhardji. Là, il se met au violon sur conseil de son maître et obtient en 1954 son premier prix, ultime distinction et le plus haut des diplômes délivrés par les conservatoires du monde. C'est alors qu'en 1955 il intègre, toujours sous la direction de son maître Mohamed Fakhardji, le célèbre orchestre de la station (Radio Alger) qui rassemblait la plupart des virtuoses, chose qui va lui permettre de parfaire son jeu d'instruments (notamment au tar où il se fera remarquer). Aussi, Mamad va enrichir considérablement son répertoire puisque étant en relation permanente avec tous les grands maîtres de l'époque. En 1967, il deviendra professeur de musique andalouse au Conservatoire d'Alger où il exerce à ce jour! Mais sa véritable consécration survient en 1980 lorsque Abderrazak Fakhardji, trop fatigué, se retire du conservatoire et laisse la chaire de musique arabo-andalouse vacante. C'est à Mamad Benchaouch que ce poste est confié. Il sera alors désigné avec le consentement et l'approbation de tous les professeurs et élèves du conservatoire pour succéder au maître à la tête de la classe supérieure, une classe qu'il dirige encore aujourd'hui malgré son âge et tous les tracas qui peuvent ennuyer un retraité dans notre pays... Malgré cela, cette classe a donné naissance à de nombreux talents à l'instar de Hamida Bouaka, Dalila Mekader, Moussa Haroun (chef d'orchestre de Sendoussya), Abdenour Allilat, Hamid et Kamel Belkhodja (chef d'orchestre de Mezghena) mais aussi une nouvelle génération tout aussi déterminée à porter le flambeau comme Leïla Chikiri, M'hamed Bouchaoui, Mourad Haoudj, Mounir Aït Ameur, Amina Benachour, Djamel Hazem, etc. Hormis l'enseignement par lequel il apporte sa contribution à la sauvegarde du patrimoine, Mamad Benchaouch eut une vie de musicien très intense; il a côtoyé et travaillé avec la plupart des sommités de la musique algérienne. En effet, il a accompagné plus d'une vingtaine d'années son ami Sid Ahmed Serri (aujourd'hui maître incontestable de l'école d'Alger); ainsi près d'une dizaine d'autres années, Mamade les a passées dans l'orchestre du célèbre Redha El-Djillali et autant avec la talentueuse et brillante interprète du malouf constantinois Alice Fitoussi, Lili Labassi et Amar E'zahi pour ne citer que ceux-là. Et c'est pour ses près de 60 années de carrière que ses élèves avec l'association Mezghena ont décidé de lui rendre hommage; un hommage qui se veut la reconnaissance de sa très longue carrière de musicien et d'enseignant, à son important répertoire, mais aussi à celui qui reste aujourd'hui comme l'un des derniers représentants authentiques de la çana'â, et un des derniers témoins et membres de l'ancienne El-djazaïria doyenne des associations musulmanes de musique andalouse qui continue de perpétuer l'école des frères Fakhardji.