Après quatre jours de guerre, l'évolution et l'issue finale du conflit restent théoriques. Bassora contournée, Oum el-Qasr et Nassirya prises ou encerclées, Bagdad sous un déluge de bombes et de missiles. Apparemment, selon les sources occidentales, mais sous embargo du Pentagone, tout se déroule comme prévu, c'est-à-dire conformément aux plans définis, il y a des mois, par les stratèges et les centres de recherches informatisés des laboratoires militaires américains. Cela en théorie ou du moins si l'on reste confiné aux déclarations officielles des responsables US, rapportées par les médias et qui ne sont démenties que par les propos de leurs adversaires irakiens. Alors, en pratique, quels seront les scénarios et l'issue de la guerre américano-britannique contre l'Irak en termes de victoire ou de défaite pour les deux belligérants? Les analystes sont catégoriques: au vu de la supériorité militaire des forces américaines et de ce qui s'est passé en 1991, ils restent persuadés que la défaite militaire des forces irakiennes ne fait pas l'ombre d'un doute. Ce premier scénario d'une victoire militaire très rapide (en moins d'une dizaine de jours de combat) de l'armée anglo-américaine, relève, de l'avis des experts et spécialistes de ce genre de conflit, de la fiction sinon du miracle, tant les inconnues du conflit sur tous les fronts restent entières. Et quand bien même se réaliseraient-ils dans les faits, ses résultats seraient pires vu que les Américains ne semblent pas avoir, hormis la donne de l'opposition qu'ils ont confectionnée en toute hâte, de perspectives politiques pour l'après-victoire. Ils gèreront un chaos indescriptible dans un pays éclaté. Deuxième scénario, encore plus pessimiste. Tout dépendra de la stratégie défensive de l'armée irakienne et surtout de la capacité de résistance de la garde prétorienne et loyale du régime qui n'est pas à sous-estimer. L'Irak a aussi tiré les leçons de la première guerre du Golfe ne serait-ce que sur le plan de l'organisation et du déploiement de ses forces militaires. Sachant que l'armée irakienne ne peut résister aux attaques aériennes américaines en plein désert, Bagdad aurait, selon les analystes, revu de fond en comble l'ensemble de son système de défense militaire et l'aurait réorienté vers le Nord pour parer à un possible scénario «à l'afghane» qui utiliserait les opposants kurdes, pour pousser au renversement du régime du président Saddam. Toutefois, cette issue a de faibles chances de se produire, vu que le régime irakien, qui a plus de trente ans d'existence, ne peut être comparé à une simple milice, celle des Talibans, qui pourrait se voir balayée aussi rapidement. Reste le scénario le plus probable d'après les experts militaires de la région et qui se précise au fil du déroulement des hostilités militaires, celui qui verrait les autorités irakiennes se défendre farouchement. Pour d'aucuns, Saddam Hussein, son équipe et ses nombreuses forces loyales, autant par patriotisme que par intérêt à défendre, entendent attirer les troupes anglo-américaines à envahir l'intérieur des grandes villes et les centres urbains, notamment dans leurs fiefs de la capitale Bagdad et Tikrit, pour leur infliger le maximum de pertes humaines. Les Etats-Unis se laisseront-ils aussi facilement entraîner dans cette voie d'enlisement du conflit? Ou plus exactement ont-ils des solutions de rechange pour réaliser leurs objectifs militaires et politiques sans en payer le prix fort en termes de victimes humaines? Ce qui est sûr, c'est qu'au vu du rapport de force, disproportionné entre un pays affaibli par trois guerres en moins de 20 ans et la seule hyperpuissance mondiale du moment, même cette perspective de guerre urbaine ne pourra pas suffire à faire battre en retraite l'armada américaine et, partant, à préserver le régime politique en place en Irak. A moins d'un hypothétique cessez-le-feu qui, d'ailleurs, n'est dans le calendrier d'aucun camp et encore moins dans celui des potentiels médiateurs. En un mot, les ingrédients d'un bourbier se rassemblent et la question de ce que fera Washington après sa victoire et «sa paix des cimetières», revient sans cesse. Autrement dit, au casse-tête militaire succédera probablement un imbroglio politique dans une région ou l'anti-américanisme est séculaire.