L'Amérique, en train de perdre la face, a décidé d'en finir, quitte à laisser sur sa route des «monceaux» de victimes civiles. La presse américaine a axé hier ses ouvertures sur l'ordre qu'aurait donné le président américain de reprendre la marche vers Bagdad. L'information a vite fait d'être confirmée dès les premières lueurs de l'aube. L'arrivée de troupes fraîches à partir du Texas, le repos des troupes depuis plusieurs jours déjà, les bombardements intensifs opérés sur plusieurs villes, y compris Bagdad, et sur plusieurs positions des troupes d'élite irakiennes, ont préparé la percée actuelle. L'Oncle Sam, qui était en train de perdre la face, cherche à redorer son blason guerrier, quitte à ce que cela se fasse sur des monceaux de cadavres, mais aussi à tromper une nouvelle fois son opinion. Afin de donner du «corps» à leur avancée et se trouver le plus vite possible en vue de la cible ultime, Bagdad, les officiers américains n'ont pas hésité à contourner la ville de Kerbala. La troisième division d'infanterie américaine a ainsi traversé le Tigre près d'Al-Kout dans une tentative de prendre en étau la capitale irakienne et d'en commencer le siège dès le week-end prochain. Son commandant, Will Grimsley, a indiqué avoir forcé un passage très à l'ouest de Kerbala, ajoutant que la résistance était désorganisée et très faible. Les Américains, qui risquent de se couper de leurs arrières et d'être pris en étau à leur tour, n'hésitent plus à prendre les risques les plus fous rien que pour donner à leurs médias, et donc à l'opinion publique mondiale, des «denrées positives» à se mettre sous la dent. Dans le but, sans doute, de doper le moral de ses troupes, désormais engagées dans une offensive n'offrant guère de voie de retraite, le Centcom a annoncé la destruction, ou à tout le moins la mise en déroute, d'une division de la Garde républicaine, la division «Bagdad», basée à quelque 150 km au sud de la capitale irakienne. Le démenti des autorités irakiennes n'a pas tardé à tomber. Les troupes américaines, rien que pour montrer au monde entier, dans un jour ou deux, qu'elle a commencé le siège de Bagdad et que les combats au sol ont même débuté, prennent le grand risque de ne plus recevoir ni vivres, ni eau, ni carburant, ni munitions, ni renfort. C'est à cette nouvelle tactique, somme toute, que devait répondre la visite de Powell en Turquie. Désavoué dans sa stratégie initiale, Rumsfeld est appelé à s'éclipser de plus en plus au profit du Pentagone et de Powell, ancien général, toujours très proche du Pentagone, comme il ne faudra jamais l'oublier. Ankara, grâce à cette tournée, vient d'autoriser les troupes US à s'approvisionner à partir du nord de l'Irak. Les troupes des premières lignes, aux prises avec les lignes avancées de défense de Bagdad, seraient donc approvisionnées à partir du Nord. Encouragées par ce début d'accord entre Ankara et Washington, les troupes kurdes ont repris le même jour leur progression en direction de la ville de Kirkouk, réactivant ainsi un semblant de «front du Nord» même si tout le monde a compris que le sort de la guerre sera connu à la suite de la «bataille de Bagdad». La doctrine ou tactique «choc et terreur», basée présentement sur le siège de Bagdad que les coalisés tentent de commencer le plus tôt possible, semble diviser une fois de plus Anglais et Américains. Si les premiers veulent une guerre «propre» quitte à ce qu'elle dure plus longtemps, les Américains, eux, ne semblent pas vouloir s'encombrer de beaucoup de scrupules dans leur volonté de faire plier Bagdad à n'importe quel prix.