l'épisode d'Oum Qasr n'est pas un cas isolé, et les Américains nourrissent toujours des visées expansionnistes. C'est au moment même où à Bruxelles, Colin Powell discute, en les regardant droit dans les yeux, avec ses homologues européens sur la destruction-reconstruction de l'Irak, que le sous-secrétaire d'Etat à la Défense Richard Perle, dans une interview à Christian Mallard, affirme l' oeil vif et la bouche en cul-de-poule: «Quand on n'est pas membre d'un club, on ne peut pas s'inviter au dîner de ce club». Allusion faite à Jacques Chirac, qui s'est opposé fermement au déclenchement de la guerre en Irak. «Si Saddam Hussein était toujours là, il pourrait demander la participation de Jacques Chirac. Mais Saddam ne sera plus là, et l'opposition irakienne ne souhaitera pas associer Chirac à la gestion de son devenir». Mais Perle cite aussi l'ancien Premier ministre français Edith Cresson, rencontrée à New York, qui lui aurait avoué qu'elle ne souhaitait pas la victoire de la coalition, et Dominique de Villepin, n'en pense pas moins et défend la même logique. «Dans ces conditions, affirme Perle, il n'est pas question que la France soit associée à la reconstruction et à l'administration de l'Irak.» En votant une rallonge budgétaire de 80 milliards de dollars à l'administration Bush, la Chambre basse a voté et adopté un amendement écartant la France, l'Allemagne et la Syrie de la reconstruction en Irak pour l'appui apporté au régime de Saddam Hussein, amendement qui a été annulé par le Sénat, l'ensemble du Congrès étant dominé par les républicains, supporters de Bush. Au fond, la visite de Powell à Bruxelles a un objectif plus psychologique que pratique. Elle coïncide bizarrement avec le début de l'offensive alliée sur l'aéroport de Bagdad, avec l'assaut final sur la capitale abbasside. Désormais, veulent dire les Américains, la défaite de Saddam et de son régime n'est qu'une formalité. On se place désormais dans l'après-Saddam. Vous voyez, nous venons vous consulter sur ce qui se passera dans les tout prochains jours. Le plan des Américains est clair : ils veulent mettre en place une sorte de protectorat en Irak, ce qui va à l'encontre du droit international. Et à ce propos, des divergences profondes séparent Américains et Britanniques. Cela s'est vu sur le terrain dès le début de la guerre, à Oum Qasr, où les GI avaient enlevé le drapeau irakien pour hisser à sa place la bannière étoilée. Les soldats britanniques ont dénoncé cette affaire, disant que si «on est là pour libérer l'Irak, faut-il qu'on nous prenne pour une armée d'occupation?» Mais, apparemment, l'épisode d'Oum Qasr n'est pas un cas isolé, et les Américains nourrissent toujours des visées expansionnistes. Eux qui n'ont tenu aucun compte de l'Onu pour agresser un Etat souverain, se gêneront-ils pour gérer, à leur manière, l'après-conflit? Pour eux, le monde tel qu'il résulte des accords de Yalta est révolu et entré dans une nouvelle ère, dominée par une hyperpuissance appelée USA, qui va dicter sa politique à l'univers entier. Cela modifie en profondeur la carte du monde et le fonctionnement jusqu'ici plus ou moins équilibré des institutions internationales. D'où la déception des ministres européens qui sentent bien que l'Union européenne a été mise à mal par ses divergences sur la guerre en Irak, et qui essaient de recoller les morceaux épars d'une politique extérieure qui a volé en éclats. Par ailleurs, tout en s'opposant à l'Amérique, les Français, les Allemands et les Russes n'ont pas les mêmes arrière-pensées. Et il est fort possible que demain ils ne se retrouvent pas dans les mêmes tranchées diplomatiques pour remettre à flot l'Onu, au moins en ce qui concerne l'aide humanitaire.