Tout est dans les mots et la manière de les tourner pour leur faire dire le contraire de ce qu'ils veulent dire. Ainsi quand le secrétaire d'Etat américain Colin Powell projette de mener des discussions pour «voir comment rallier la communauté internationale à l'effort de reconstruction du pays après des décennies de destruction du pays par le régime de Saddam Hussein», il serait légitime de gratter un peu le vernis qu'il y a sur les mots pour découvrir ce qu'ils cachent. N'est-ce pas que les caméras du monde entier nous montrent les missiles à guidage laser tombant avec fracas sur les habitations et les infrastructures, faisant des victimes par centaines et causant des dégâts matériels considérables? Mais la diplomatie de Colin Powell prend le relais pour jeter un voile pudique sur ces horreurs et nous faire avaler des couleuvres, en disant avec des cris d'orfraie que ces destructions ne sont pas le fait de l'armée des alliés mais de la DCA de Saddam Hussein. Ce déplacement de Colin Powell à Ankara et à Bruxelles est donc une opération de charme en direction de l'opinion internationale, et en premier lieu des alliés des Etats-Unis, même si à Ankara cette visite a été précédée d'une manifestation antiguerre et antiaméricaine organisée par une cinquantaine de personnes hier devant le ministère turc des Affaires étrangères et une autre devant le siège du Premier ministre Erdogan. Pour sa part, Colin Powell explique les déboires américains en Turquie par le fait qu'«il y a eu des fautes des deux côtés à cause de l'inexpérience de la nouvelle direction à Ankara et d'une administration américaine qui a permis aux stratèges militaires de dicter une diplomatie pendant la période précédant la guerre qui aurait dû être plus prudente». En d'autres termes, Colin Powell ne se gêne pas pour égratigner au passage l'impatience et les bourdes des stratèges militaires américains, ce débat étant encore très vif à Washington. Pour rassurer davantage ses alliés turcs, Powell reconnaît que la Turquie, contrairement à la France, n'a pas de volonté de former un bloc opposé aux Etats-Unis et va jusqu'à proposer des compensations financières pour amadouer Ankara, maniant avec dextérité la politique de la carotte et du bâton. «Si nous voyons un plein soutien dans les prochains jours, y compris un soutien aux troupes actuellement en Irak du Nord, je pense que cela aidera à faire accepter au Congrès une demande d'aide financière à la Turquie de un milliard de dollars», a, en outre, ajouté Colin Powell. Cela dit, on est vraiment loin de l'idée de faire transiter 62.000 GI sur le sol turc pour ouvrir un front nord contre l'Irak, demande rejetée par le Parlement turc le 1er mars dernier. C'est tout juste si on se contente de l'ouverture de couloirs aériens pour les appareils américains opérant en Irak, et si on arrive à obtenir des garanties fermes d'Ankara de ne pas envoyer de troupes dans le nord de l'Irak, sous contrôle kurde avec les craintes de la Turquie de voir relancer les troubles et les velléités indépendantistes dans le Kurdistan irakien, et le «risque de faire tache d'huile dans la communauté kurde de Turquie». A partir d'aujourd'hui, et après une escale à Belgrade, Colin Powell sera à Bruxelles, où un autre marathon l'attend avec ses homologues européens.