Après la fin de la conscription en 1973, le Pentagone recrute dans l'immigration sous toutes ses formes. Dans le corps expéditionnaire américain engagé dans les combats en Irak, il n'y a pas uniquement des citoyens américains de pure laine. Il y a aussi tous les autres. Ces milliers de soldats originaires d'Amérique latine et d'autres continents qui combattent sous les couleurs US, mais qui en réalité n'ont pas encore la nationalité américaine. Ainsi, tout le monde aura remarqué qu'au nombre des premiers soldats des forces américaines morts au combat en Irak figuraient un Guatémaltèque, deux Mexicains et un Colombien. Deux auraient reçu la semaine dernière la nationalité de l'Oncle Sam à titre posthume, c'est-à-dire après avoir laissé leur vie dans la fournaise du désert irakien. Certes, nombre des 15.000 militaires d'origine latino-américaine déployés par les Etats-Unis en Irak et dans le Golfe ne seraient pas des immigrés illégaux et détiendraient déjà une carte de résident et de travail (la fameuse Greencard ou Carte verte), mais ce qui est sûr en revanche, c'est qu'au moment de leur incorporation dans les effectifs de l'armée américaine, ils n'avaient pas la citoyenneté de ce pays. Plus proche de la chair à canon bon marché que de véritables «mercenaires» dont les autorités irakiennes ne cessent de dénoncer la présence sur leur territoire, ces milliers de soldats ont, en fait, bénéficié d'un décret signé en juillet 2002 par le président américain et qui permet aux militaires en service depuis les attentats du 11 septembre 2001 ou qui sont partis à la retraite depuis cette date de demander immédiatement la citoyenneté américaine aux services d'immigration américains (INS). Aussi, et selon des chiffres publiés par le Pentagone lui-même, ce sont pas moins de 31.044 résidents étrangers qui ont intégré les forces américaines en avril dernier, représentant un peu plus de 2 % du total, la grande majorité intégrant la marine et l'infanterie de marine. Parmi eux, 9 871 sont des Latino-Américains qui n'ont pas la nationalité US, dont 3 936 Mexicains et 221 Cubains. Et, entre juillet 2002 et février 2003 tout ce beau monde, soit un total de 5 441 militaires de nationalité étrangère, a commencé le processus accéléré d'acquisition de la nationalité américaine. Les campagnes de marketing, de publicité, voire de propagande aidant, l'engouement pour l'engagement dans l'armée américaine est tel que l'ambassade du Mexique aux Etats-Unis est montée au créneau pour démentir les rumeurs laissant entendre que le Pentagone recrutait à tour de bras dans les milieux des sans papiers. «Il est absolument faux que l'armée américaine recrute des sans-papiers mexicains en leur promettant qu'ils obtiendraient la nationalité américaine», a dû préciser la représentation diplomatique mexicaine le mois dernier, après avoir reçu des centaines d'appels téléphoniques de Mexicains prêts à combattre en Irak en échange d'un passeport US. En fait, c'est le décret signé par Bush et ses procédures accélérées qui ont suscité ce rush des sans-papiers pour rejoindre les rangs de l'armée américaine. Il faut rappeler à ce sujet que celle-ci accepte en son sein des ressortissants étrangers, mais à la condition que ces derniers soient détenteurs de la carte de résidence permanente aux Etats-Unis. En outre, normalement une personne en possession de ce document doit attendre 5 années pleines avant de pouvoir entamer le processus d'acquisition de la citoyenneté, et en cas d'appartenance aux forces américaines ce délai est ramené à trois années seulement. Avec le décret Bush, dès l'incorporation militaire de la personne, celle-ci peut introduire sa demande et obtenir la citoyenneté américaine sans attendre des années. Résultat: aujourd'hui, les cérémonies de naturalisation organisées aux Etats-Unis en grande pompe en ces temps de guerre battent leur plein. Mais 50 % des jeunes recrues ne sont pas Américaines de souche. Il est vrai que pour ces laissés-pour-compte de la très individualiste société américaine, l'uniforme reste le seul moyen de promotion sociale et d'amélioration des conditions de vie.