«Malheur au pays qui a besoin de héros !» Comment oublier Bagdad et ses enfants sous les bombes de Bush? Comment exorciser l'humiliation des GI écrasant de leurs blindés la terre de Ur et les sillons de Babylone? Comment refouler l'émotion de cette foule barrant de ses poitrines nues le chemin du Tombeau de l'Imam face aux marines du Texas? Mais comment détourner le regard et la raison de ce combat entre les virtualités du discours et les réalités de la technologie? Comment ne pas voir l'asymétrie entre le laser efficace du F18 et la statue inanimée du raïs autopro-clamé? Comment ne pas constater la distance vertigineuse entre les promesses messianiques de Al-Sahaf et la planification opérationnelle stricte de Tommy Franks? Une seule conclusion s'impose: «Malheur au pays qui a besoin de héros!». Et l'Irak, malgré son histoire millénaire, ses richesses agricoles et pétrolières, ses intellectuels et ses cadres reconnus et admirés, était le pays d'un héros, il appartenait à une famille, à un clan, il fonctionnait selon les caprices d'une infime minorité servie par un appareil de répression policière terrible qui maintenait, dans la peur, le silence et le mépris, tout le peuple d'Abraham. Et lorsque le héros s'affaisse, c'est le peuple qui se retrouve nu! Heureusement pour l'Irak qui a su tirer des tréfonds du génie de son peuple le souffle de dignité qui sauve la face de sa nation des dépassements de son lumpenprolétariat maintenu trop longtemps en esclavage. Heureusement pour l'Irak, pays de la civilisation et des musées, de l'histoire et des rites, de la littérature et des universités, mais malheureusement pour beaucoup d'autres pays arabes qui n'ont su ni créer ni sauvegarder des richesses, qui galvaudent leur histoire et maintiennent leurs populations dans l'indigence culturelle. Ceux-là ne survivraient pas à une nuit de bombardement. Une seule conclusion : l'Irak se serait mieux défendu s'il ne défendait pas son héros aux mille effigies, mais sa dignité de berceau de l'humanité. Mieux, l'Irak n'aurait jamais pu être attaqué s'il n'avait pas été kidnappé et affaibli par une dynastie familiale. Mieux encore, l'Irak n'aurait jamais pu être envahi si son peuple avait trouvé sa force et son unité dans la démocratie et le développement. Mais il n'appartient pas à Apulée de pleurer Rome! Et je ne pleurerai pas non plus les petits tyrans du Machrek et du Maghreb qui tremblent dans leurs palais à l'image des statues déboulonnées et de la «plèbe» pillant les demeures des princes. Je serai même très mal placé pour pleurer les milliers de morts d'Irak alors que je ne parviens pas à faire le deuil des dizaines de milliers d'Algériens mitraillés, égorgés ou brûlés par leurs frères de sang au nom de Dieu du bien, le même qu'invoque Bush, le même que glorifie sur son étendard Saddam, le même que prient tous les gouvernants arabes, de préférence le jour de l'Aïd, face aux caméras de télévision. Dieu est innocent de leurs péchés et de leurs crimes. Le Dieu de Moïse qui a dit: «Tu ne tueras point!». Le Dieu de Jésus qui a dit «Aime ton prochain comme toi-même!», le Dieu de Mohamed qui a dit: «Celui qui tue un seul être humain, c'est comme s'il avait tué toute l'humanité !». Aujourd'hui que ne subsiste de «la mère des batailles» que cet adolescent maghrébin, errant dans les rues de Bagdad, désertées par les fameuses brigades spéciales, seul avec son dérisoire RPG7 et sa foi de martyr vivant face à l'armada américaine, je souhaiterais prendre à mon tour «le chemin de Damas», non point pour aller en Irak pleurer le meurtre de Hussein, mais pour remettre à nos gouvernants en Algérie, un message urgent qui les somme, avant que Bush ne frappe à leur porte, de rendre l'Algérie aux Algériens! Il faut faire vite. Avant la prochaine élection présidentielle qui commémorera le cinquième anniversaire de la fraude électorale du 15 avril 1999. Il faudra rendre aux Algériens, tout d'abord, leurs droits et libertés avec en premier le droit à la vie, c'est-à-dire le droit de ne pas être victime des terroristes avec lesquels vous dialoguez au lieu de les éliminer. Ensuite le droit à la justice, c'est-à-dire le droit de ne pas aller en prison sans motif et de ne pas y croupir et souvent d'y brûler sans raison et surtout le droit de ne pas être victime des procureurs aux or-dres et des juges corrompus. Puis le droit à l'exercice des libertés fondamentales comme la liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté de rassemblement et de déplacement et la liberté d'entreprendre. Enfin le droit à la dignité, pas le slogan, mais la réalité, c'est-à-dire le droit à un emploi, à un toit, à la santé, à l'éducation, à la vie privée. Et puis il y a beaucoup d'autres droits que les Algériens s'arrogeront eux-mêmes lorsque vous leur aurez rendu le droit de choisir librement et démocratiquement leurs dirigeants nationaux et locaux. Avec ces droits, il faudra rendre aux Algériens leur Histoire complète, non dénaturée ou falsifiée, avec ses hauts et ses bas, avec ses vrais héros et ses faux moudjahidine. Il faudra aussi rendre aux Algériens leur Culture totale, sans ajout alexandrin ni retrait byzantin, une culture avec sa pluralité et ses contradictions, avec ses arts et ses langues. Et surtout, n'oubliez pas de rendre aux Algériens leur religion, en la sortant des temples du pouvoir et en la libérant des oripeaux de l'ignorance et des fanatismes. Il faudra rendre aux Algériens l'Islam de leurs aïeux, cet Islam qui ne connaissait ni le qamis ni le niqab et qui unissait les frères aux frères et leur interdisait de s'entre-tuer. Ces droits et libertés, leur Histoire, leur culture et leur religion que vous devez rendre aux Algériens ne serviraient à rien si vous ne leur rendez pas en même temps leurs richesses, c'est-à-dire les ressources naturelles de ce pays: hydrocarbures, mines, agriculture et autres richesses matérielles et financières volées, pillées, détournées au profit d'une minorité. En rendant aux Algériens leurs droits et leurs richesses, vous leur aurez rendu leur avenir. L'Algérie ainsi rendue aux Algériens n'élèvera pas de statues à ses dirigeants, mais donnera les moyens à ses élites de maîtriser les technologies pour se développer, se nourrir et se défendre contre l'appétit des puissances. L'Algérie rendue aux Algériens ne sera pas une Algérie de foules en délire à scander le nom d'un homme, mais celle de cadres compétents investissant le monde par la science, le commerce et la culture. Sans cette Algérie-là, personne ne pourra protéger nos enfants des bombes ni notre pétrole des multinationales et surtout pas des petits Saddam de pacotille !