«Tout était mêlé puis vint l'entendement», disait Anaxagore. En fait, tout était calme et même serein autour de la résidence, hier matin, à Nouakchott, du Chef du gouvernement. Les journalistes attendaient dehors pour être prêts à s'engouffrer dans son salon où il devait donner une conférence de presse, dont, en principe, les questions et les réponses devaient graviter autour de la 13e session de la grande commission algéro-mauritanienne. Eh bien non! Content de se retrouver en Mauritanie pour des raisons historiques, mais aussi pour relancer les échanges, la coopération sous toutes ses formes, d'une stratégie régionale fondée pour atteindre à terme une structuration irréversible de l'Union maghrébine, Ali Benflis devait prendre les journalistes présents à contrepied en remettant les pendules à l'heure. «Non! Il n'est pas question que je démissionne», lança-t-il. Précisant aussitôt qu'entre lui et le chef de l'Etat, il n'y avait aucun problème. Douche froide pour les journalistes? Bien au contraire, tout le monde voulait sauter de joie. Ce sera, disaient-ils, le titre de «Une» d'aujourd'hui. C'est vrai que, pour s'en être progressivement rapproché, Benflis a bonne presse. Quelqu'un a même souligné devant nous, un jour ou l'autre, il fallait bien que l'un des deux responsables du pays se prononçât sur le malaise qui s'était mis à enfler après le 8e congrès du FLN, à l'issue duquel Ali Benflis a été porté à la cimaise de la notoriété, grâce à la confiance que lui renouvela, sans la moindre réticence et à l'unanimité, l'ensemble des congressistes. Depuis, il y eut, certes, des spéculations, mais aussi des manoeuvres souterraines destinées à jeter le trouble dans le déroulement du 8e congrès du FLN. En vain! Même s'ils n'ont pas pesé les conséquences en se singularisant, ces gens-là sont les premières «victimes expiatoires de la nouvelle politique» et de la refondation moderne du FLN. Evoquant l'Algérie où, dit-il, «nous sommes en train de construire une société de libertés», le Chef du gouvernement rappellera, à ce propos, qu'«il y a peut-être des gens qui en veulent à notre pays» pour expliquer l'effervescence qui s'est emparée de l'opinion publique, il y a quelques jours. L'Algérie avance et cela peut, effectivement, déranger, de même que le FLN avance et peut également déranger. Cela étant dit avec la plus inoffensive des sérénités, Ali Benflis, qui a été reçu avec tous les honneurs dus à son rang par les autorités mauritaniennes au plus haut niveau, avait été donné, on s'en souvient, pour démissionnaire par anticipation dès son retour de Nouakchott. Eh bien! Il n'en est rien et il en sera sûrement ainsi pendant longtemps encore. Autour de nous, les journalistes poussèrent un ouf général. Et c'est bien vrai qu'un certain malaise régnait depuis notre arrivée à Nouakchott pour savoir si Ali Benflis allait prendre le taureau par les cornes ou s'offrir en victime expiatoire pour complaire à certaines coteries qui s'obstinent encore à user de critères, eux-mêmes usés par le temps, et dont le prisme s'est encrassé au fil du temps par l'amoncellement de couches superposées d'ingrédients puisés dans la pensée unique d'antan. On croit parfois détenir la clé de l'histoire, mais voilà qu'un simple grain de sable se glisse dans les rouages et donne une impulsion tout à fait inattendue pour l'orienter dans un sens tout à fait opposé. Comme quoi «l'imagination est bel et bien maîtresse d'erreur». Cette manière «inattendue» de remettre les pendules à l'heure ne peut, par ailleurs, nous détacher du souvenir de certaines statistiques concernant la longévité des candidats aux postes de Premier-ministre. En effet, selon M.Ahmed Benbitour qui avait élaboré des statistiques à ce propos, sans doute pour s'amuser, les chefs du gouvernement qui, depuis 1988, ont le plus longtemps duré à ce poste, n'ont jamais dépassé les 18 mois. Or, Ali Benflis a déjà battu tous les records du livre de Ahmed Benbitour. Et selon toute probabilité, il occuperait plusieurs mois encore ce poste, sans cependant se départir de son autre passion, qui est celle de conduire à la victoire le parti dont il est le secrétaire général, à savoir le FLN. La déclaration de Nouakchott de Ali Benflis, pour ramener la sérénité dans les rangs des Algériens, prouve, si besoin est, qu'entre le chef de l'Etat et lui il ne devrait jamais y avoir de problèmes insolubles. Ce regain subit de confiance, si tant est qu'il puisse s'agir exclusivement de cela, devrait nous rappeler qu'à ce niveau de l'Etat, les critères d'appréciation politique diffèrent totalement de ce que peuvent imaginer les observateurs de la scène politique. La déclaration du Chef du gouvernement devrait, en effet, rassurer les Algériens sur ce que la démocratie et le pluralisme ne pourraient être remis en cause en dépit des efforts titanesques que fournissent, au quotidien, leurs ennemis dont certains, encore actifs dans les rouages de l'Etat, ne cesseront d'attaquer l'édifice de libertés qui est en train d'être construit. D'où sans doute les incompréhensions qui se sont glissées dans les rapports entre le Président de la République et son Chef du gouvernement. Une chose est à présent sûre Ali Benflis ne démissionnera pas et le chef de l'Etat, malgré les pressions qui semblent s'être exercées sur lui, n'a pas commis l'erreur fatale de le congédier. C'eût été une catastrophe qui aurait dépassé en matière de crise celle des dix dernières années.