Alors que Jay Garner prend ses quartiers à Bagdad, les choses s'éclaircissent quelque peu entre Washington et Damas. Il ne fait plus de doute que les Américains sont partis pour s'installer dans la durée en Irak. Quelques mois, ou deux années de présence américaine - selon les affirmations des néoconservateurs avant la guerre contre l'Irak- l'on parle maintenant de cinq années au minimum comme vient de le faire Richard Perle, ex-conseiller du secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld. En réalité, quel que soit le temps imparti à cette présence américaine, le fait est que l'on s'achemine vers une sorte de colonisation classique où l'occupant supervise directement l'ensemble de la pratique du pouvoir en pays occupé. Et c'est bien l'impression qui se dégage - dans le sillage de la prise de fonction de Jay Garner, gouverneur pour l'Irak désigné par la Maison-Blanche - avec l'arrivée massive à Bagdad d'administrateurs et d'experts américains, chargés de reconfigurer le destin de l'Irak. Pour bien montrer que les Américains ont pris les choses en main, une mise en garde a été adressée à tous ceux qui ambitionnent ou estiment avoir un destin national. Ainsi, à peine débarqué à Bagdad, le «gouverneur» désigné de l'Irak, met les choses au point déclarant: «Il y a beaucoup de leaders autoproclamés. Je ne les connais pas, mais notre but est d'amorcer le processus qui permettra au peuple irakien d'élire ses propres dirigeants. Personne ne sort du lot. Nous n'avons nommé ou reconnu personne.» Et à chacun de se le tenir pour dit. Il est vrai que dans un pays dévasté par la guerre, par les pillages et la destruction d'archives, souvent délibérés, beaucoup se sont subitement découvert de nouvelles ambitions de dirigeants ou, à tout le moins, celles d'auxiliaires des vainqueurs. La mise au point de l'administrateur américain, autant qu'elle tempère ces ardeurs, indique bien que seuls les Américains sont maîtres à bord du bateau «Irak». Alors que le mystère de la disparition de Saddam Hussein, de ses fils et de ses principaux collaborateurs demeure entier, les nouveaux occupants américains sont allés vite en besogne, notamment par la recherche des traces d'armes de destruction massive en Irak l'une des causes de la guerre déclarée à ce pays. Ces armes, existent-elles en fait? Selon le conseiller scientifique de Saddam Hussein, le général Amer Hammoudi Hassan Al-Saadi, «il n'y a pas en Irak cette sorte d'armes», lors de sa reddition à l'armée américaine, affirmant qu'il faisait cette déclaration pour «l'histoire». Alors quid de ces armes? Toutefois, une journaliste américaine du New York Times, affirmait, hier, que les experts américains auraient mis la main sur «les premiers indices sérieux» de l'existence de ces armes. Selon l'envoyée du quotidien new-yorkais, «grâce à des informations fournies par un scientifique irakien», ayant collaboré au programme d'armement, les experts ont découvert «des produits précurseurs d'un agent toxique interdit par les conventions sur les armes chimiques». La journaliste du New York Times, qui a dû se soumettre à la censure militaire, n'a pas été autorisée à identifier les produits trouvés. Cependant, même si cela s'avère exact - encore que ces découvertes, si cela est, seraient entachées de suspicion, car, curieusement les Américains auraient trouvé rapidement ce que les experts de l'ONU n'ont pu faire en trois mois et demi de présence - reste à démontrer que leur détention par l'Irak constituait réellement un danger pour la sécurité du monde, comme l'affirment les Américains. La guerre contre l'Irak montre à contrario que l'Irak était quasiment désarmé, n'ayant pu s'opposer aux attaques de la coalition américano-britannique. Pendant que les Américains s'attachent à découvrir des éléments à même de justifier, a posteriori, leur attaque contre l'Irak, ils mènent parallèlement la traque aux dirigeants irakiens, dont Saddam Hussein, - signalé un peu partout ces derniers jours - réfléchissent aux problèmes que pose la reconstruction de l'Irak, tout en maintenant la pression sur Damas. Il convient de relever toutefois, une certaine baisse de ton de George W.Bush, qui a déclaré dimanche «voir des signes positifs» de la part de Damas. Qu'a promis Al Assad que Washington accusait de recueillir des dirigeants irakiens passés entre les mailles du filet américain? Farouk Al Chareh, chef de la diplomatie syrienne, a vite fait de dire la satisfaction de Damas après les déclarations du président Bush, indiquant: «Nous accueillons favorablement la dernière déclaration du président Bush. La Syrie a toujours voulu le dialogue avec les Etats-Unis. Depuis le début la Syrie n'a jamais voulu la confrontation, mais le dialogue avec les Etats-Unis.» Deux sénateurs américains, ont, de leur côté, affirmé, depuis Damas, que «le président syrien s'est engagé à n'accueillir aucun criminel de guerre irakien recherché par les Américains». A défaut d'affirmation d'une mise au pas planifié du monde arabe, la tournure des événements confirme, à tout le moins, la détermination de Washington à ne tolérer aucune opposition dans son «précarré» stratégique moyen-oriental.