Des centaines de milliers de fidèles chiites affluent depuis quelques jours de tous les points d'Irak pour un immense pèlerinage dans la ville sainte de Kerbala où ils se retrouvent aujourd'hui. Ce pèlerinage, que les chiites irakiens se sont astreints de faire dans la ville martyre, tout en étant à connotation religieuse, par, notamment, la célébration de l'imam Hussein - figure centrale du chiisme, (et petit-fils du Prophète Mohamed), tué en 680, lors de la bataille pour le califat, dans cette ville où se trouve son tombeau et son mausolée - est surtout politique. Les chiites irakiens, longtemps privés de leurs droits à l'expression, ne veulent pas laisser le champ libre à l'adversité. En effet, si de nombreux dirigeants chiites disent leur satisfaction de la chute du régime de Saddam Hussein, n'en exigent pas moins le départ des Américains et des Britanniques d'Irak. De fait, la donne chiite qui est loin d'être négligeable, constitue en réalité l'inconnue pour une administration américaine loin de maîtriser les ethnies gigognes irakiennes. Les chiites, longtemps marginalisés et, surtout, réprimés par le régime baassiste, constituent, en fait, la large majorité (estimée entre 55% et 65%) de la population irakienne, se considèrent comme alternative incontournable de l'après-Saddam Hussein. Cela, d'autant plus, que ce sont encore les chiites qui ont le plus souffert de la répression d'un régime qui a régné sans partage. L'assassinat en 1980 de l'ayatollah Mohammed Bakr Al-Sadr, par le régime baassiste, comme en 1999, celui de l'ayatollah Mohammed Sadeq Al-Sadr, qui refusait de cautionner la politique de Saddam Hussein, allaient définitivement couper les ponts entre les deux parties. De fait Mohammed Bakr Al Sadr et Mohammed Sadeq Al Sadr sont devenus pour les chiites les symboles du refus de la domination du Baâs. La dure répression de la révolte chiite, dans le sillage de la guerre de 1991, écrasée dans le sang avait encore, si cela pouvait se faire, accentué la cassure entre Bagdad et la population chiite irakienne. Aujourd'hui, «libérés» certes, mais non vraiment satisfaits, les chiites veulent plus, sinon le pouvoir, à tout le moins être associés à tout ce qui sera décidé pour le futur de l'Irak. Ainsi, l'Assemblée suprême de la révolution islamique irakienne (Asrii) se pose d'ores et déjà comme porte-flambeau des chiites et l'interlocuteur incontournable des nouveaux hommes forts du pouvoir en Irak, les administrateurs américains. Ces derniers n'ont pas, à l'évidence, fini de sonder la donne chiite qui demeure, pour eux, la véritable inconnue, tant par rapport à la coopération active des Kurdes irakiens, que de l'attentisme des sunnites, l'autre composante de cet Irak qui ne s'avoue pas battu. Les slogans anti-américains apparus hier à Kerbala en disent long sur le sentiment général qui étreint la population, les chiites singulièrement.