A l'heure actuelle, il serait judicieux de revoir de près la carte sécuritaire du Sahel. Les opérations de recherches s'orientent de plus en plus vers la certitude que les 31 touristes disparus depuis le 21 février dernier, se trouvent hors des frontières algériennes. Le triangle Ouargla-Djanet-Tamanrasset a été passé au peigne fin par les unités de l'armée et les brigades de gendarmerie et les frontières Sud et Sud-Est ont été ratissées au millimètre près. A partir des hélicoptères de combat, engagés dans les opérations de recherches, des MI 14, 15 et 25, des Ecureuil dotés de systèmes de détection de chaleur, on peut aisément brasser toute l'étendue désertique des regs, des ergs et des hamadas du Sahara algérien. Volant en rase motte, les chercheurs sont capables d'apercevoir un fennec qui court ou un petit buisson. Ces vols effectués au ras du sol sablonneux ou rocailleux devraient donner, comme dans un livre ouvert, une lecture claire de ce qui gît ou bouge dans les étendues désertiques ratissées. Et si, à ce jour, rien, absolument rien, des trente et un touristes européens disparus n'a été trouvé, c'est que rien, absolument rien ne s'y trouve. «C'est la seule explication plausible, rationnelle et acceptable que l'on peut donner à cette mystérieuse disparition», nous expliquait un haut officier de la 6e Région militaire lors de notre passage dans la wilaya de Tamanrasset. Peu prolixes, un rien circonspects, les responsables des opérations de recherches évitent scrupuleusement les médias, d'autant que le constat d'échec des opérations de recherches menées depuis plusieurs semaines devient de plus en plus évident. De fait, et comme il a été murmuré çà et là depuis l'annonce de la disparition du premier groupe de touristes, certains spécialistes du sécuritaire en Algérie orientent leur regard vers les pays du Sahel et les vastes et insondables espaces compris entre le Mali, le Niger, la Mauritanie, l'Algérie et la Libye. Cette terre aride, qui ressemble à un no man's land, peut, en fait, constituer la clé de l'énigme. Dans l'une ou dans l'autre des lisières frontalières de ces pays prolifèrent des groupes insaisissables, aux contours encore mal définis et aux objectifs qu'on arrive encore mal à cerner. On cite Al-Qaîda, le Gspc, un GIA local, des rebelles nigériens et maliens, des organisations targuies, des groupes sahéliens, des autonomistes radicaux et des mouvements religieux transnationaux, mais, en réalité, on n'est sûr de rien. Ce vaste monde de rebelles, qui échappe à toute définition et dont le contrôle est limité par les conditions de vie intenables, est certainement, pensent les spécialistes de la situation politique et sécuritaire du Sahel, «l'auteur de l'enlèvement des 31 touristes européens et le lieu de leur détention, dans le cas évident où ils auraient été enlevés et encore en vie», précise une source de la 6e Région militaire. L'enjeu? Une vaste panoplie de motifs : la guerre contre l'Irak, les échecs essuyés par le monde arabo-musulman, une démonstration de force, un rapt dont les objectifs seront connus par la suite, la réactivation des groupes islamistes locaux, des représailles d'agents ou de sympathisants d'Al-Qaîda, etc. Tous les pronostics sont permis, dès lors qu'on connaît le patchwork tribal et sécuritaire qui agite la région du Sahel. La mise à l'écart des rebelles de ce monde, notamment au Niger, où près de 800.000 Touareg sont disqualifiés de la scène politique légale, a créé un «univers underground» qu'il n'est pas facile de cerner. Au Mali, la situation est semblable, bien que sensiblement améliorée. Le 27 mars 1996, à Tombouctou, les organisations targuies du nord du Mali ont solennellement brûlé leurs armes, en présence du président malien et du chef de l'Etat ghanéen. Depuis, leur réintégration dans la société malienne se fait lentement, avec notamment un contingent de plusieurs milliers de combattants targuis versés dans les rangs des forces régulières maliennes. Cependant, les groupes, qui activent à la lisière de cette nouvelle carte, restent assez importants pour inciter à la mesure. Outre les tribus turbulentes du Sahel, l'ombre menaçante des commerçants d'armes se profile à l'horizon des recherches. La proximité des frontières tchado-nigérienne et tchado-libyenne avec toute la panoplie de mouvements armés qui s'y trouvent, est un parfait indice d'agitation de la zone frontalière du Sahel. A diverses reprises, les commissions des droits de l'Homme ont exprimé leur souci concernant le trop important lot d'armes qui circule dans cette zone. Des milliers de pièces d'armes, kalachnikovs, Fmpk, Simonov et armes de poing tournent, à prix abordable, dans les mains de groupes plus au moins connus. Si on ajoute à tout cela, la menace des hommes liés à l'organisation Al-Qaîda, on obtient un mélange détonant. Depuis les attentats de Nairobi, on sait que le groupe de Ben Laden a de solides affinités en Afrique subsaharienne et au Sahel. La stratégie subsaharienne, sorte d'infiltration des mouvements armés, via le Mali, le Niger, etc, s'est, notamment, confirmée avec la neutralisation du Yéménite Imad Abdelwahid, abattu à Batna il y a quelques mois, et qui était, assurent les services de sécurité algériens, un éminent émissaire de Ben Laden. Mouvements rebelles, commerce d'armes, enjeux contradictoires et groupes aux objectifs encore mal connus, c'est peut-être cela la clé du drame qui s'est déroulé à huis clos quelque part dans la région subsaharienne.