La tournée du secrétaire d'Etat américain, notamment en Syrie, est le coup d'envoi d'un «réaménagement» régional. Il ne fait plus de doute que Washington veut battre le fer tant qu'il est chaud. Et la venue du secrétaire d'Etat, Colin Powell, au Proche-Orient, au lendemain même de la «victoire» sur le régime de Saddam Hussein, indique la volonté de la Maison-Blanche de faire vite et de ne laisser aucune chance aux «adversaires éventuels» de se retourner. Les menaces, à peine voilées, de Washington à l'encontre de la Syrie accusée, notamment, d'avoir aidé militairement l'Irak, d'héberger ses dirigeants en fuite et, plus grave, de détenir des armes de destruction massive, auront, à tout le moins «préparé» Damas à la nouvelle donne régionale. Avant même l'arrivée en Syrie du secrétaire d'Etat américain, le Département d'Etat avait laissé entendre que les Etats-Unis ne transigeraient pas sur certains dossiers, pour eux stratégiques, entre autres, la «feuille de route», le terrorisme, les armes de destruction massive. Selon un ancien ministre libanais qui a requis l'anonymat, Colin Powell «vient soumettre à la Syrie trois exigences, non négociables et prioritaires: ne pas s'ingérer dans les affaires irakiennes, ne pas faire obstruction au processus israélo-palestinien et éloigner le Hezbollah de la frontière libano-israélienne». De fait, Washington, qui a déjà demandé à la Syrie de fermer les bureaux des formations palestiniennes «radicales», va, sans doute, faire encore plus pression sur Damas, maintenant que la feuille de route est rendue publique. Lors de ses entretiens avec le président syrien, Bachar Al Assad, Colin Powell est revenu sur les exigences américaines tant pour ce qui concerne «le développement des armes de destruction massive», (les Etats-Unis accusent en effet la Syrie de développer un programme d'armement chimique), que sur la situation post-Saddam Hussein et la perméabilité des frontières entre la Syrie et l'Irak. Ferme, tout en se voulant souple, Colin Powell a expliqué que «ce qui est important pour nous aujourd'hui c'est d'avoir une discussion avec le président (Assad) qui aborde ces sujets, mais qui aillent au-delà». Situant les thèmes en discussion, le secrétaire d'Etat américain indique: «Les conversations américano-syriennes devaient traiter du changement du contexte stratégique (...), de la situation en Irak et de la publication de la feuille de route (...).» Explicitant la nouvelle donne prévalant dans la région, Colin Powell souligne qu'il existe maintenant «deux dynamiques en marche: la nouvelle situation en Irak, avec l'élimination d'un régime dictatorial et l'occasion pour le peuple irakien de bâtir un pays et un gouvernement sur des fondements démocratiques, et l'occasion de faire avancer le processus de paix entre Palestiniens et Israéliens». Sur ce dernier point, le chef de la diplomatie américaine précise: «Même si la feuille de route concerne principalement les Palestiniens et les Israéliens, les Etats-Unis la considèrent comme partie intégrante d'un règlement global qui inclurait les intérêts de la Syrie.» Ainsi, Colin Powell veut par là indiquer que Washington demeure ouvert à la demande de Damas d'inclure la Syrie dans le processus de la «feuille de route». Le secrétaire d'Etat américain a, en revanche, rejeté la demande de la Syrie de faire du Moyen-Orient une région sans armes de destruction massive, considérant cette sollicitation comme étant «politique». Concédant cependant que «cela demeure un objectif américain qu'il n'y ait pas ce type d'armes dans la région». La Syrie avait, rappelle-t-on, déposé, le 16 avril dernier, devant le Conseil de sécurité de l'ONU, un projet de résolution demandant «l'application des textes des Nations unies faisant du Moyen-Orient, y compris Israël, une zone sans armes de destruction massive». En fait, les Etats-Unis, qui tiennent à éliminer les armes de destruction massives que détiennent ou détiendraient les pays arabes, ne tiennent pas pour autant à l'étendre jusqu'à leur protégé, ou à embarrasser Israël qui reste leur principal allié dans la région, lequel détient effectivement des armes de destruction massive, dont au moins 200 ogives nucléaires. C'est certes, une manière de voir les choses, et ce qui est interdit pour les Arabes ne l'est pas forcément pour Israël. Cqfd. Notons qu'Israël est l'un des trois pays qui n'ont pas signé ou ratifié le TNP (Traité de non-prolifération nucléaire, adopté par l'ONU en 1968, et actuellement signé par 188 pays sur les 191 Etats que compte l'ONU). Le secrétaire d'Etat américain, qui était, hier, à Beyrouth, sera au début de la semaine prochaine dans les territoires palestiniens occupés, où il rencontrera à Ramalla, le Premier ministre palestinien, Mahmoud Abbas Abou Mazen, et à Tel-Aviv, où il aura des entretiens avec le Premier ministre israélien Ariel Sharon.