La minitournée du secrétaire d'Etat américain a servi surtout à mettre la Syrie au pied du mur. Piégée la Syrie? Cela en a tout l'air, dans la mesure où le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, n'est venu à Damas ni pour discuter et encore moins négocier, mais bien pour donner des ordres et faire voir à Damas où se trouvait son intérêt. Et l'exemple de l'Irak, très éloquent, est suffisamment présent dans les esprits pour que les Syriens, à défaut de pouvoir le conjurer, aient à le méditer. Il semble bien que Damas ait décidé de faire le dos rond et sans doute obtempérer aux injonctions de Washington. Le Hezbollah libanais, dont les Etats-Unis exigent le désarmement et l'éloignement des frontières libano-israéliennes, le Jihad islamique et le Hamas palestiniens sont les autres mouvements de résistance immédiatement placés dans le collimateur américain. Les premiers à s'en féliciter sont évidemment les Israéliens qui estiment que le président Assad «a compris l'avertissement». Des sources politiques israéliennes non identifiées ont ainsi déclaré au journal Yédiot Aharonot qu' «il n'y avait pas de changement fondamental dans la position du président syrien (Bachar Al Assad), bien que certains indices montrent qu'il a compris le sérieux avertissement américain». Laissant percevoir leur scepticisme, cette source ajoute: «Je doute qu'Assad cesse son soutien au terrorisme, mais tous les indices montrent qu'il a compris que les Américains sont sérieux dans leurs avertissements, et que, s'il n'en tient pas compte, il risque d'être isolé, voire de se retrouver dans la situation de Saddam Hussein». Aussi, les Israéliens doutent-ils de la reprise des pourparlers israélo-syriens, dont la «possibilité» est, selon eux, «minime» indiquant même «qu'il n'en est pas question du tout maintenant». De fait, les points de vue américains et israéliens convergent dans le fait que les mouvements de résistance libanais, du Hezbollah, et palestiniens dits «radicaux», tels le Jihad islamique, le Hamas et le FLP, notamment, sont tout bonnement considérés comme des groupes terroristes. Ce qui pouvait encore passer pour un amalgame est devenu, par la force des choses, un point d'ancrage de la politique américaine pour le Proche-Orient, et l'élimination de tout ce qui pouvait contrecarrer la «paix américaine» dans la région. Il est patent que Washington veut déblayer au maximum la route devant la mise en application de la feuille de route qui ne laisse aucune alternative à l'expression d'une démarche différente. De fait, l'une des priorités, sinon la toute première, qu'impose la «feuille de route» au nouveau cabinet Abbas, est bien la lutte contre le «terrorisme palestinien», c'est-à-dire les mouvements qui poursuivent le combat, avec les moyens du bord, contre l'occupation israélienne. Cela est d'autant plus remarquable, que le document en question ne pose pas, parallèlement, le préalable du retrait des forces armées israéliennes d'occupation, ne serait-ce que des territoires autonomes réoccupés depuis septembre 2000. Certes, il est demandé à Israël de «renoncer» aux démolitions des habitations palestiniennes et de démanteler «les points de colonisation construits après mars 2001». Il est évident cependant, que la problématique proche-orientale ne se réduit pas seulement à l'élimination de la violence, qui est directement induite par l'occupation israélienne, mais bien au droit des Palestiniens de créer leur Etat indépendant, sur les bases des territoires occupés par Israël en 1967, la libération du Golan syrien, que la sécurité pour le Liban et la libération de la localité libanaise de Chaâba, que Tel-Aviv n'a pas restitué au gouvernement libanais lors de son retrait du Sud Liban en 1999. Chaâba reste la motivation essentielle du mouvement libanais Hezbollah. M.Powell, avec ses interlocuteurs syriens et libanais, ne semble pas avoir évoqué ces points pourtant cruciaux pour le retour de la paix dans la région. Il donne surtout l'impression de s'être appliqué à déblayer le terrain pour Israël en neutralisant la Syrie, singulièrement, et la résistance palestinienne de l'intérieur. Colin Powell n'exige pas de Sharon ce qu'il n'a pas manqué de faire avec Al Assad, mais une «paix» sur mesure pour Israël, tout en imposant des contraintes aux aspirations de ses voisins arabes, ne pourra qu'induire à terme d'autres violences. L'agence d'information syrienne Sana avait indiqué, hier, que MM.Assad et Powell sont «convenus de poursuivre les contacts et de coordonner les efforts dans l'intérêt des deux pays pour servir la sécurité et la stabilité dans la région», mais on sentait bien qu'il y avait de l'amertume dans cette précision de l'agence Sana. L'étau commence à se resserrer sur une Syrie qui n'est pas loin de s'être laissé piéger.