C´est l´histoire d´un monsieur (appelons-le Kader) qui se présente à une banque publique pour déposer une somme assez rondelette, soit 12 milliards de centimes, en espérant obtenir quelques petites faveurs en négociant le taux d´intérêt. Dans le monde entier, c´est la règle. Les directeurs des banques courtisent les gros déposants, allant jusqu´à leur proposer des facilités et moult autres offres alléchantes. Mais cela ne se passe pas comme ça chez nous, et pour cause. Voici donc la réponse qui a été faite par le préposé au guichet à Kader: «Nous ne pouvons pas prendre une pareille somme car il y a trop de liquidités. Nous ne pouvons accepter que 200 ou 300 millions.» Sur insistance de Kader qui est têtu, la banque encaisse finalement les 12 milliards mais n´accorde un taux d´intérêt qu´à hauteur de 300 millions. Les arguments présentés par la banque sont désarçonnants de simplicité : il y a trop d´argent qui dort dans les banques et «comme nous n´accordons pas de gros crédits aux investisseurs et aux particuliers, cet argent en surstock demande des frais de gestion et est un boulet pour notre personnel et notre trésorerie». Comme vous voyez, c´est le monde à l´envers. Giscard d´Estaing avait inventé le serpent monétaire et nous, nous avons fait de notre système bancaire un serpent qui se mord la queue. Les ménages, les jeunes couples qui veulent acheter un logement ou des appareils électroménagers ne trouvent pas de prêts bancaires et ne savent pas à quel saint se vouer, les opérateurs économiques qui veulent faire tourner leurs machines ou leurs commerces sont dans le même cas, pendant que les dinars sommeillent dans les banques, créant des goulots d´étranglement et congestionnant les rouages du système. N´aurait-il pas été plus simple de faire travailler et fructifier cet argent, améliorer les procédures d´octroi de crédit aux entrepreneurs et aider la consommation des ménages? Au lieu de ça, les investisseurs, les négociants s´adressent aux marchés parallèles, nourrissant le circuit informel, favorisant l´évasion fiscale et la fraude à tous les niveaux. Mais comment peut-il en être autrement, alors que la réforme piétine et que trois banques privées, la Bcia, l´Union Banque et El Khalifa Banque, ont été mises en faillite? Les ex-gestionnaires de ces banques sont-ils seuls responsables de leur fiasco? Les autorités publiques n´ont-elles pas failli à leur devoir en ne contrôlant pas de plus près les activités et les mouvements de capitaux de ces banques, dans le respect des règles prudentielles? Il est si facile, aujourd´hui, de venir jeter la pierre à des gestionnaires privés qui ont peut-être manqué de scrupules mais n´avaient de compte à rendre à personne. En réalité la loi de la jungle bancaire avait commencé depuis belle lurette, et les scandales de la BEA, de la BDL et du CPA ont défrayé la chronique bien avant la naissance des banques privées. Quand les officiels jurent leurs grands dieux qu´ils veulent accélérer le rythme des réformes, on reste sceptique. Il y a longtemps que les citoyens ont cessé d´avaler des couleuvres, pour rester dans le domaine des reptiles. Mais le bouquet a été atteint avec cette mesure prise par le chef du gouvernement en plein été : celle d´obliger les entreprises publiques à ne travailler qu´avec les banques publiques, allant à contre-sens de toutes les lois économiques et remettant en cause la transition à l´économie de marché. Cette mesure, en tout cas, est révélatrice des incohérences de l´Exécutif, où l´on dit qu´il y aurait deux logiques qui s´affrontent: Ouyahia contre Benachenhou. L´association des banques et établissements financiers (Abef) qui représente aussi bien les banques publiques que privées, vient de jeter un pavé dans la mare en dénonçant une circulaire aux conséquences désastreuses.