Quel serait le crédit accordé à un cadre moyen, appelons-le Dahmane, âgé de 35 ans, percevant un salaire de 30 000 DA ? Pour se faire une idée du crédit approximatif pouvant être concédé à Dahmane, selon la banque sollicitée, nous nous sommes basés soit sur les « barèmes » de simulations disponibles sur les documents proposés au public par certaines banques, comme c'est le cas notamment de la Cnep et d'El Baraka Bank, soit en exécutant nous-mêmes cette simulation, opération que nombre de banques proposent sur leur site internet. C'est ce que nous avons fait avec la BDL. Pour le cas du CPA, nous avons sollicité l'aimable collaboration de la direction des crédits spécifiques et aux particuliers qui s'est prêtée au jeu. Notons que la simulation ne donne que la capacité d'endettement et non pas le crédit effectif alloué qui dépend, lui, de plusieurs paramètres non compris ici, notamment la caution solidaire qui peut permettre d'obtenir plus, ou la structure réelle du salaire (soustraction de primes à caractère exceptionnel, prise en compte des dettes contractées ailleurs, taux d'intérêts, etc). Les résultats de l'opération sont les suivants : Dahmane bénéficierait d'un prêt de 1 097 000 DA (un peu plus de 100 millions de centimes) sur 20 ans chez la Cnep, avec une mensualité de 9000 DA, et avec un taux « non-épargnant » de 7,25%. Dahmane étant jeune, il peut prétendre à un prêt d'une durée allant jusqu'à 30 ans. A la lumière de cette nouvelle donne, il peut bénéficier d'un prêt de 1 263 000 DA (126 millions de centimes). Si maintenant Dahmane est titulaire du livret d'épargne logement (LEL) et son taux imbattable à 5,75%, il peut espérer gonfler davantage ses chances. En l'occurrence, il pourrait faire grimper son crédit jusqu'à 1 466 000 DA sur 30 ans (en payant une traite mensuelle de 9000 DA toujours), ce qui lui permettrait de s'acheter une petite bicoque dans un coin perdu de son choix, le plus loin possible de la couronne algéroise où les prix des murs crachent le feu. Voyons ce que propose la concurrence. Au CPA, la simulation faite par des experts de la boîte a donné un montant de 1 231 311 DA (un peu plus de 123 millions de centimes) sur 20 ans, et 1 364 320 DA sur 25 ans (136 millions de centimes). Dans les deux cas, Dahmane devra s'acquitter mensuellement de la coquette somme de 9000 DA comprenant le principal et le loyer de l'argent. A la BDL, une cybersimulation au cyber du quartier a permis à Dahmane d'empocher virtuellement la somme rondelette de… Attendez ! La rubrique « déterminer le montant du crédit à octroyer » ne marche pas. Un effort, les mecs ! Il clique sur « évaluation de votre crédit immobilier ». Il doit remplir le champ « valeur du bien ». Il ne connaît pas de « F âfsa » (F machin) à moins de 500 briques à la ronde. Allez, mettons 3 millions de dinars. Ce n'est pas fini. Il doit mettre quelques zéros après la virgule dans le champ « apport personnel ». 20% minimum. Il faut donc se débrouiller 60 bâtons au marché noir du crédit. La famille, les amis, la razzia, khouya Omar. Ouf ! C'est fait. Click : 1 440 000 DA. 144 millions de centimes. La machine est bête et intransigeante. Il n'aura donc pas les 240 millions qui lui manquent. Il doit se débrouiller encore 100 millions. Pour un F-misère de 300 briques, ce qui, en soit, est une gageure à Alger. Il porte la durée à 25 ans. Re-click. Suspense. Résultat : 1 440 000. Ça n'a pas bougé. Il se tourne vers El Baraka Bank. Paraît que c'est une banque islamique. Pas de « riba » (intérêts). Ils appliquent à la place la « mourabaha » ou le « idjar ». Rien pigé ! Tout ce qu'il cherche, lui, c'est combien va lui virer le Grand Capital. Il jette un coup d'œil sur les papiers photocopiés que lui a remis un vieux monsieur sympathique à l'agence de la rue Didouche, près du lycée De Lacroix, chargé d'informer les clients. Ses cheveux se dressent : El Baraka exige un salaire minimum de 40 000 DA, le salaire du conjoint inclus. Mais il n'est pas marié. Il connaît plein de nanas, mais pour la codébition, laisse tomber ! Faut un logement pour avoir une caution très solidaire. Cercle vicieux. Il jette tout de même un coup d'œil sur le document photocopié. Pour 40 000 balles, c'est 1 702 000 DA de blé, 170 millions et de grosses poussières. Pas mal. Mais pas assez. Jamais assez ! Il fait un saut sur le trottoir d'en face et il est à Société Générale. Y a du monde qui attend derrière le sas de sécurité. Tous pour une simulation auprès d'une gentille dame. Ça serait quoi alors s'ils distribuaient du logement social ? On lui remet une feuille sur laquelle il lit : salaire minimum : 35 000 DA, avec apport minimum de 20% pour une durée maximum de 15 ans. Taux d'intérêt : 9% HT. Non, en TTC SVP. 10,53%. OK, merci ! Le crédit hypothécaire devient très hypothétique. Dahmane sort une clope. La consume nerveusement. Cogite deux minutes. En désespoir de cause, il fait sa razzia auprès de la famille, les amis, khouya Omar, et s'achète une baraque en zinc dans un bidonville. Et ça, ce n'est pas de la simulation !